Lorsque les débats tuent le débat

La Floride doit mener jeudi sa première exécution depuis près de deux ans, en remplaçant le sédatif très controversé midazolam par un médicament encore jamais utilisé dans un cocktail létal aux États-Unis. Accusé d’un double meurtre, Mark James Asay doit être exécuté à 18H00 (22H00 GMT) dans la prison d’État de Floride. Aujourd’hui âgé de 57 ans, il a été condamné pour les meurtres de Robert Lee Booker et Robert McDowell, commis en 1987 dans cet Etat du sud-est des Etats-Unis. « Le département des administrations pénitentiaires de Floride respecte la loi et applique la condamnation du tribunal », a déclaré à l’AFP une porte-parole, Ashley Cook, soulignant que cette institution avait pour objectif de s’assurer que « la procédure d’injection létale soit humaine et digne ». Accusé de ne pas suffisamment plonger le condamné dans l’inconscience, et donc de provoquer des souffrances inutiles, le midazolam a suscité une forte polémique aux Etats-Unis et a déclenché plusieurs blocages juridiques. Pour l’exécution de Mark James Asay, les autorités pénitentiaires ont donc décidé de remplacer le midazolam par de l’étomidate, un agent anesthésiant encore jamais utilisé parmi les trois produits constituant l’injection létale. Mais il est parfois difficile d’administrer ce sédatif, commercialisé sous le nom Amidate, qui peut provoquer de sévères irritations et brûlures, met en garde Jonathan Groner, chirurgien, professeur à l’université d’Etat de l’Ohio et opposant à la peine capitale. La dernière exécution en Floride remonte à celle d’Oscar Ray Bolin, le 7 janvier 2016. Cinq jours plus tard, la Cour suprême américaine jugeait inconstitutionnel le système de condamnation capitale dans cet Etat, car donnant trop de pouvoir au juge au détriment des jurés. La Floride était alors l’un des seuls Etats américains à ne pas exiger l’unanimité des jurés pour condamner à mort un accusé. En mars dernier, son gouverneur, Rick Scott, a finalement signé une loi exigeant l’unanimité du jury.

L’étomidate « est un médicament très spécifique et très dangereux quand on l’administre par intraveineuse, car il peut provoquer des blessures très sérieuses si ce n’est pas fait correctement », a déclaré Jonathan Groner à l’AFP. « Cela peut être extrêmement douloureux », a-t-il souligné, particulièrement quand l’étomidate « est injecté dans des veines abîmées, or beaucoup de détenus dans le couloir de la mort ont les veines abîmées à cause de leur âge ou parce qu’ils ont un passé de toxicomanie ». Il y a donc de grandes chances que l’exécution se passe mal, selon Jonathan Groner. Le laboratoire Janssen (groupe Johnson & Johnson), qui a crée l’étomidate il y a plusieurs décennies, a protesté contre ce nouvel usage. « Nous n’approuvons pas l’usage de nos médicaments dans des injections létales servant à la peine capitale », a réagi mardi un porte-parole, Greg Panico, dans un entretien au Washington Post. « Janssen découvre et développe des innovations médicales pour sauver et améliorer des vies », a-t-il souligné. Si l’exécution est menée à bout, Mark James Asay sera le premier Blanc à être mis à mort pour avoir tué un Noir en Floride depuis que cet Etat a rétabli la peine capitale en 1976, selon le centre d’information sur la peine de mort, sur un total de 92 exécutions en 41 ans. Mark James Asay avait lancé des insultes racistes juste avant d’abattre Robert Lee Booker, un Noir américain, selon les procureurs. Il avait tué son autre victime, Robert McDowell, alors que ce dernier était apparemment habillé en femme et que M. Asay venait de le payer en échange de relations sexuelles. (Source : AFP)

Aux États-Unis : des débats stériles autour de la peine de mort

Cette information, de taille pourtant conséquente, n’aborde à aucun moment le sujet de fond : l’inhumanité de la peine de mort, sans parler de l’attente dans le couloir de la mort qui a eu lieu pendant trente ans. En fournissant matière à débattre sur des sujets secondaires, elle induit même parfois le contraire.

Ainsi, de grands débats ont lieu sur le sédatif à utiliser, afin que « la procédure d’injection létale soit humaine et digne ». Il est inquiétant que la dignité humaine soit vue par le département des administrations pénitentiaires de Floride comme un problème de chimie, même si dans la culture américaine la manière de mourir est importante. Ce département pense qu’une exécution pourrait se faire « proprement » à condition de procéder de la bonne façon. Or, ce problème est sans solution : prendre une vie, ce n’est jamais propre.

L’abondance de détails donnés sur l’étomidate est surréaliste. S’inquiéter que ce médicament puisse provoquer des blessures très sérieuses, alors qu’il va être utilisé lors d’une exécution, est pour le moins incongru.

Les aspects juridiques, consistant notamment pour le département des administrations pénitentiaires de Floride à se glorifier de respecter la condamnation du Tribunal… avec trente ans de retard, paraîtraient presque inaperçus en comparaison.

Enfin, mettre l’accent sur le fait que le condamné est le premier Blanc à être exécuté pour avoir commis un crime raciste, tandis qu’il y a eu presque une centaine de Noirs exécutés depuis le rétablissement de la peine capitale, constitue un détournement de la lutte antiraciste afin de légitimer une exécution.

En France :  des amalgames regrettables

En France, le sujet de la peine de mort fait également l’actualité, mais pour des raisons différentes. Cependant, les méthodes de communication utilisées afin que les citoyens ne voient plus l’essentiel sont similaires. Fond et forme sont liés [1].

Par exemple, en 2015, après l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo, une courte majorité des Français était favorable au retour de la peine de mort, et ce pas uniquement pour les terroristes [2].

Réaliser des sondages sur un retour de la peine de mort alors que beaucoup de personnes sont sous le choc d’attentats terroristes produit des résultats percutants mais non fiables. Il s’agit avant tout de désinformation devenant information [3].

Arrêtons de débattre sur des sujets artificiels. En pratique, les jihadistes sont abattus par les militaires ou les policiers lorsqu’ils représentent une menace.

Débattons plutôt sereinement.

Sources

[1] https://docteurzinzin.com/2017/07/25/guerre-des-mots/ La guerre des mots, ou comment appauvrir les citoyens… sous leurs applaudissements

[2] http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/08/les-francais-juges-plus-favorables-a-la-peine-de-mort-qu-en-2014_4630334_3224.html 52 % des Français sont favorables au retour de la peine de mort

[3] https://docteurzinzin.com/2017/08/04/sondages-en-politique/ Comment les sondages négatifs permettent de ne pas changer de politique

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