Deux mois après son arrivée aux affaires, Emmanuel Macron accuse une chute de popularité quasi inédite sous la Ve République (Source : AFP).
La façon dont cette chute est analysée par les sondeurs, et plus largement par les analystes politiques, est souvent convenue, et peut même induire en erreur.
Une baisse de popularité due à des promesses non tenues ?
Les sondeurs font souvent appel aux promesses de campagne non tenues pour expliquer les baisses de popularité importantes observées pour tous les derniers présidents de la République peu de temps après leur élection. Ils analysent ainsi que la communication d’Emmanuel Macron tranche avec une « politique d’austérité » qui serait menée, provoquant notamment des mécontents au sein de la fonction publique [1] et des retraités (à cause d’une hausse des prélèvements sur les retraites).
Une telle analyse est discutable. En effet, Emmanuel Macron n’a jamais caché son idéologie basée sur le travail et sur l’entreprenariat. Lors de la campagne présidentielle, il s’est présenté comme le « candidat du travail », avec tout ce que cela implique.
Il est donc logique que sa politique impacte négativement les retraités et les fonctionnaires, puisqu’en caricaturant sa vision du monde, « les retraités touchent de l’argent sans travailler », et « les fonctionnaires ne contribuent pas à l’effort de compétitivité ». Au contraire, sa politique impacte positivement le patronat (même si ce sont surtout les multinationales qui en sont bénéficiaires, plus que les petits entrepreneurs) [2] [3].
Dans le cas d’Emmanuel Macron, le décalage entre les promesses de campagne et la politique menée n’est pas flagrant, alors qu’un certain nombre de citoyens a sans doute une telle opinion. Comment expliquer cela ?
Ou due à des promesses tenues, et à une opposition factice entre François Hollande et Emmanuel Macron ?
Une analyse, opposée à la précédente, consiste à dire qu’au contraire la baisse de popularité d’Emmanuel Macron est due à ses promesses tenues !
Ainsi, les sondeurs analysent que les Français mécontents ont l’impression qu’Emmanuel Macron poursuit exactement la politique antérieure, alors qu’il entendait incarner une nouvelle politique. Cela est exact, mais incomplet.
De ce fait, l’analyse des sondeurs peut être fallacieuse, car elle a tendance à laisser sous-entendre qu’Emmanuel Macron prônait une politique différente de celle de François Hollande. Or, les promesses de campagne d’Emmanuel Macron ne tranchaient pas avec la politique menée par François Hollande. Emmanuel Macron a d’ailleurs été conseiller de ce dernier, puis son ministre de l’Économie, qui plus est influent : bien des réformes économiques menées sous la présidence de François Hollande viennent d’Emmanuel Macron.
Ce qui était trompeur était le décalage entre le discours de François Hollande lui-même et sa politique réelle, ce qui faisait que dans le discours Emmanuel Macron était très différent de François Hollande (mais pas dans les actes). Si l’on résume :
Pas étonnant que beaucoup de citoyens soient mécontents d’Emmanuel Macron, puisqu’ils l’étaient de François Hollande… Ils rejettent en vérité l’idéologie libérale, mais ont été manipulés pour justement plébisciter cette dernière.
C’est toute la force du marketing : tous les cinq ans, inversez l’étiquette (le discours, le parti) tout en gardant le même produit défectueux (la politique libérale), afin de continuer à le vendre (gagner les élections).
Par le passé, l’inversion d’étiquette se faisait par l’alternance entre Parti socialiste et Républicains (ex UMP). Cette inversion devenant trop éventée et dénoncée, notamment par le Front National, il a fallu créer une nouvelle étiquette : « La République en marche ». Pas grave si Emmanuel Macron doit sa carrière politique à des ténors du Parti socialiste comme François Hollande ou Jacques Attali… Pas grave si beaucoup viennent du Parti socialiste ou des Républicains…
Les sondages sont utilisés pour amplifier le faux, plutôt que le vrai
Le paradoxe lié au fait qu’Emmanuel Macron entend se démarquer de François Hollande alors qu’il suit une politique analogue n’est ainsi pas nouveau : il était détectable dès le départ. Cependant :
- En période électorale, la majorité des électeurs se base sur les formules d’accroche, les slogans pour se forger un avis. Ils ont donc retenu qu’Emmanuel Macron voulait se démarquer de François Hollande, sans s’interroger sur le fond. La campagne présidentielle s’apparente ainsi plus à une campagne publicitaire qu’à une réelle réflexion politique des citoyens.
- Une fois les élections passées, les premières mesures sont prises, et les électeurs sont alors forcés de faire face à l’idéologie politique réelle du candidat devenu président. Ils réalisent ainsi que cette idéologie ne leur correspond pas. Mais c’est trop tard : les élections sont passées. Les électeurs concernés, au lieu de se remettre en cause, vont avoir beau jeu de prétendre que le candidat n’a pas tenu ses promesses.
Les différents sondeurs et analystes politiques relaieront ensuite cette contre-vérité, soit parce qu’ils se fient trop aux sondages, sans tenir compte des illusions collectives qui rendent l’opinion de la majorité fausse, soit parce qu’ils y trouvent un intérêt politique.
En effet, si les électeurs se rendaient compte qu’ils ont voté pour quelqu’un prônant la même idéologie que François Mitterrand dès les années 80, ils seraient choqués…
On mesure ainsi toute l’étendue de la duperie infligée par nombre de politiques, analystes, et journalistes aux citoyens : l’idéologie présentée comme étant la solution à la crise économique est justement celle qui l’a provoquée. Faire croire que le pays va mal, non pas à cause du contenu de cette idéologie politique en elle-même, mais soi-disant à cause de sa non-application, permet cet état de fait.
Il ne faut cependant pas amoindrir la responsabilité des électeurs : ils savaient bien qu’Emmanuel Macron avait été ministre de l’Économie, et donc auraient dû se poser les bonnes questions, évitant de tomber dans les pièges marketing. Comme l’a écrit Joseph de Maistre, toute nation a le gouvernement qu’elle mérite.
Les sondages et la duplicité des analyses politiques contribuent au maintien de l’illusion démocratique
Le sondage mentionné, et son analyse, prépare l’après-Macron : il pousse à conclure que la crise économique ne vient pas de l’idéologie libérale d’Emmanuel Macron et de bien d’autres hommes politiques, mais viendrait du fait qu’Emmanuel Macron ne tienne pas ses promesses (soit le contraire !).
Les sondages et les analyses politiques permettent ainsi de calquer des mauvaises raisons sur un mécontentement qui, lui, est légitime. A la longue, les citoyens récalcitrants se laissent convaincre que les mauvaises raisons données sont les bonnes, et un nouveau sondage fera encore plus ressortir que les Français sont mécontents d’Emmanuel Macron parce qu’il n’a pas tenu ses promesses : les sondages et les analyses se donnent eux-mêmes raison.
Ce travail de désinformation devenant information, qui commence déjà à être effectué, permettra dans cinq ans l’élection d’un autre homme politique, mais avec la même idéologie, présentée de nouveau comme une politique audacieuse et novatrice. La boucle est bouclée :
La personnalisation de la politique permet de faire un discours pseudo-critique, qui en vérité sert l’idéologie libérale. Les critiques envers Emmanuel Macron se font ainsi beaucoup plus vives depuis que ce dernier a été élu président, et donc qu’au final cela ne sert plus à grand-chose dans l’immédiat. Au contraire, les critiques de fond étant toujours insuffisamment relayées, cela favorisera l’émergence d’un nouveau « Macron » dans cinq ans, de même idéologie mais d’étiquette différente.
En conclusion
Les sondages, bien utilisés et analysés, peuvent dans l’absolu apporter un éclairage sur ce que pense la majorité de la population. Hélas, avec les pratiques actuelles, ils servent souvent au contraire d’écrans de fumée cachant des dysfonctionnements démocratiques profonds, et permettent de dérouler un scenario écrit à l’avance. Lorsqu’un gouvernement perd les élections, il change… en apparence.
Sources
[1] https://docteurzinzin.com/2017/07/10/politiques-fonctionnaires/ Quand les politiques se moquent des fonctionnaires
[2] https://docteurzinzin.com/2017/07/27/reforme-droit-travail/ Quand « code du travail » n’est plus à prendre avec un sens juridique…
[3] https://docteurzinzin.com/2017/07/10/compte-prevention/ Compte prévention : la promotion de l’inacceptable