L’opposition fallacieuse entre mener et suivre

Introduction : les enjeux de l’étiquetage socioprofessionnel

Bien des citoyens, afin de réussir professionnellement, tiennent à s’afficher en tant que « leaders » (« meneurs », « décideurs »). Ils cherchent à paraître importants, et ce, d’autant plus lorsqu’ils ont ou visent un poste avec un statut hiérarchique ou social élevé. Ils ne veulent surtout pas être considérés comme étant des « suiveurs », car ils pensent que cela nuirait à leur image donc à leur carrière.

Leur attitude peut se comprendre : classer, étiqueter, les salariés est une pratique devenue courante dans le monde du travail [1]. Le salarié, une fois étiqueté, aura beaucoup de mal, voire n’arrivera pas, à changer d’étiquette ou à s’en libérer. Et cette étiquette a des implications concrètes : dans la manière dont ses collègues ou ses supérieurs communiquent avec lui, dans la façon dont il est évalué, dans son évolution de carrière, bref dans la quasi-totalité de sa vie professionnelle. C’est justement parce que cette étiquette est sans cesse utilisée, qu’elle colle à la peau. On mesure toute la dangerosité de cette pratique et l’intérêt d’être « bien étiqueté ».

Cette obsession d’être vu comme un « décideur », qui provient du monde entrepreneurial, a envahi toute la société, par exemple la classe politique. La phrase de Jacques Chirac à propos de ses rapports avec Nicolas Sarkozy, à savoir : « Je décide et il exécute.», a fait date [2].

Qu’en-est-il réellement ?

La méthode utilisée par ces « décideurs »

Ces « décideurs » répètent sans arrêt la méthode suivante : obéir au système avant même qu’il ne formule ses ordres, ses demandes.  Afin de paraître « moteurs » et suivis, ils vont s’exprimer le plus rapidement possible sur les sujets du moment en tenant un discours correspondant à la ligne du système. Ils ont donc une bonne connaissance de ce dernier et arrivent à prévoir ses réactions et ses futures injonctions, en grande partie parce que ce sont sans cesse les mêmes sujets qui reviennent : savoir comment le système a réagi permet d’extrapoler sur ses réactions futures.

Ces « décideurs » sont, en vérité, des « super suiveurs » : ils vont dans le sens du vent avant qu’il ne souffle et, ce faisant, apparaissent fallacieusement comme ayant décidé du sens en question. En particulier, cette pratique est utilisée par bien des intervenants dans les médias, qui semblent faire l’opinion, alors même qu’ils tiennent un discours afin de lui plaire. Ces intervenants, si jamais il leur prend soudainement l’envie de tenir des propos ne correspondant pas au système, sont remplacés, brutalement ou au fur et à mesure (ils sont de moins en moins invités, jusqu’à ce qu’ils « disparaissent » du paysage médiatique).

Avoir un statut social élevé implique d’aller en permanence dans le sens du système. C’est parce qu’on suit le système, et que le système décide, que l’on est vu comme « décideur ».

Le quotidien du « haut », fantasmé par le « bas »

La société actuelle est centrée sur la réussite sociale, ce qui nourrit les fantasmes, et réciproquement. Bien des citoyens, situés en bas de l’échelle sociale, souffrent de ne pas être maîtres de leur vie et pensent qu’un statut social élevé leur fournirait la liberté. Ils fantasment la réalité quotidienne vécue par le « haut ».

Certes, plus on monte dans l’échelle sociale, et moins on a de personnes au-dessus de soi, mais plus l’allégeance que l’on doit leur prêter est forte. De plus, il est nécessaire d’adhérer encore plus fortement au système, à l’idéologie sociale actuelle. Les deux aspects (allégeance envers sa hiérarchie, allégeance au système) sont quasi indissociables. Le simple fait d’exprimer une réflexion qui n’est pas en ligne avec le système est vu comme de l’insubordination ou comme une provocation.

L’image donnée par les « décideurs » est en complète contradiction avec leur quotidien, où il s’agit d’obéir, et ce, dès l’amont. Le prix à payer pour être payé par le système.

Conclusion : les enseignements à en tirer

L’analyse de l’opposition fallacieuse entre mener et suivre permet de mettre en exergue les points suivants, couramment utilisés par le système afin de tenir, ou de faire tenir, des propos fallacieux :

a) Des étiquettes sociales inversées ou contraires à la réalité

 La confusion entre le statut social et la réalité de la fonction est à l’origine d’inversions entre l’image des personnes concernées et leur véritable personnalité. Les « décideurs » ont souvent des statuts sociaux pompeux, qui les présentent comme des « chefs » ou comme influents. Comme expliqué dans la partie précédente, ces titres s’avèrent contraires à leur réalité quotidienne, où ils sont « suiveurs ».

b) L’effet trompeur de seuils de dépassement ou d’inversion

Le système aime faire « plus » pour duper, comme cela a déjà été mentionné dans [3]. Ici, en l’occurrence, les salariés concernés sont tellement « suiveurs » qu’ils apparaissent comme des « décideurs ».

c) L’hypocrisie de la « liberté d’expression » existante

Afin d’être « bien étiqueté », et donc de garder ou d’acquérir des avantages sociaux, il faut dire ce qu’attend le système tout en affirmant que c’est notre opinion personnelle, que « cela vient de nous ».

d) Le système se donne raison lorsqu’il a tort

A la longue, ironiquement, le point mentionné en c) devient vrai, le rôle social tenu nous reprogrammant humainement [4]. Ce qui demandait, au départ, de se forcer devient mécanique : le système nous a changés, nous a conditionnés à penser comme lui, à agir comme il l’entend.

La forme entraîne le fond : à force de tenir les propos voulus par le système, on finit réellement par penser ainsi. La « liberté d’expression » factice engendre une perte de liberté de penser. Selon cet aspect, elle est plus nuisible qu’une interdiction de s’exprimer.

e) Le système impose ses axes de pensée, et les oppositions fallacieuses qui vont avec

Le système impose une vue du monde de par son prisme. Il impose des axes de pensée, des questions, en l’occurrence : « Est-ce que ce citoyen est un leader ? », qui réalise des oppositions fallacieuses (comme expliqué, un « leader » est en réalité un « super suiveur »).

Ainsi, la réponse à proprement parler n’a pas d’intérêt sur le plan conceptuel, alors que l’on pourrait fallacieusement penser le contraire, vu que son contenu est crucial pour la carrière du citoyen concerné, pour sa réussite ou son échec social. Souvent, le système, de par les enjeux sur nos vies, nous pousse à réfléchir sur des choses secondaires ou piégeantes. C’est dans l’interrogation qu’est contenue la vue du monde du système : il faudrait dire non pas oui ou non en réponse à la question, mais plutôt à la question même.

La pratique décrite est fréquente en politique et dans les sondages, où le système fait mine de considérer l’opinion de la population afin de lui injecter la sienne.

f) Le système inverse la logique

Le système est friand des inversions logiques, causales ou temporelles, les trois allant souvent de pair. Ces dernières contribuent à lui permettre de mettre en place ou de renforcer son emprise, concernant la situation décrite.

Ainsi, que des personnes obéissent au système avant même qu’il ne donne ses injonctions, l’aval étant aussi amont, provoque une logique affichée, une causalité apparente et une temporalité contraires à celles qui existeraient sans cela. Le système détourne la démocratie : il paraît avoir écouté les citoyens, alors même qu’il leur a imposé sa ligne.

Non seulement ces inversions ne sont pas notées, ni corrigées, mais en plus elles suscitent l’adhésion, entraînant un règne du fallacieux dans toute la société.

g) L’importance de l’estime de soi

On retrouve sur le cas étudié que le jugement d’autrui est crucial en société et que, souvent, le jugement d’autrui prend en otage notre propre jugement de nous-même.

Le système prend comme cible notre ego… tandis qu’il incite à se mettre en avant, à se glorifier de travailler en son sein. Retrouver ou développer une estime de soi est l’une des raisons pour lesquelles bien des citoyens adhèrent publiquement à l’idéologie du système, alors même que c’est principalement ce dernier, dont son idéologie, qui est à l’origine du besoin en question.

Être vu et se voir comme « décideur », par opposition (fallacieuse) à « suiveur » – correspondant à la réalité quotidienne -, fait partie de ce processus, qui rend, concrètement, encore plus suiveur. Un cercle vicieux, présenté comme vertueux.

Sources

[1] https://www.qwesta.fr/informations/comment-identifier-les-caracteristiques-de-mon-equipe-/ Comment identifier les caractéristiques de mon équipe ?

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Je_décide_et_il_exécute Je décide et il exécute

[3] https://docteurzinzin.com/2021/09/27/psychisme-intellect/ Le psychisme, au détriment de l’intellect

[4] https://docteurzinzin.com/2020/05/25/societe-humain/ Lorsque la société reprogramme l’humain

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