Le psychisme, au détriment de l’intellect

Introduction : le mépris de la vérité, la prime au fallacieux

Le fonctionnement actuel de la société correspond souvent à une inversion par rapport à ce que l’on aurait pu légitimement croire :

  • Lorsque l’on dit la vérité, ou du moins que l’on s’en rapproche, que l’on tient des propos pertinents sur la société, on suscite le mépris ou le rejet d’autrui.
  • Tandis que, lui tenir plausiblement un discours optimiste, que l’on sait, au fond de nous-même, être faux, va attirer sa sympathie ou son adhésion.

Cette réalité sociale peut surprendre, voire donner lieu à des revers (par rapport à ce que l’on attendait comme réaction), car elle correspond à une morale inversée, en vérité fréquente au sein du système : l’autre nous punit lorsqu’on est honnête intellectuellement avec lui, il nous récompense lorsqu’on l’induit en erreur.

La personne veut « vivre »

La raison sous-jacente au rejet de la vérité est de nature psychologique. La plupart des citoyens cherchent à vivre heureux. Ils n’apprécient donc pas d’entendre des vérités sur le système, des analyses de la société, qui vont mettre en avant des aspects blessants ou difficiles, car ils considèrent, à tort ou à raison (voir la partie « Conditionnement: des vertus… inversées en vices »), qu’ils vont en sortir déprimés ou diminués.

Dès que l’on met en exergue des aspects contestables de notre société, on s’entend dire que « tout le monde le sait ». Cette réponse est à la fois classique et perverse, comme c’est souvent le cas, étant donné la « nouvelle normalité » qui a cours dans la société [1] :

  • Elle confond deux sens du mot « savoir » : son sens intellectuel (au final, relativement peu de personnes analysent la société) et le sens de vivre, subir (« tout le monde » vit, à des degrés divers, en société). Ce faisant, elle engendre une forme d’interdiction à formuler les travers du système et de la société.
  • Elle correspond aussi à une attaque personnelle, qui consiste à prétendre que l’on ne vit pas sur Terre, que l’on ne connaît pas le monde… alors même qu’on décrit ce dernier correctement ! Elle associe fallacieusement le fait de parler de la société avec le fait de la découvrir, en rendant vérité et ingénuité synonymes, comme dans le roman de Voltaire [2]. La réalité est autre : c’est parce qu’on connaît bien la société, voire qu’on ne la connaît que trop bien, qu’on arrive à formuler des analyses la concernant.
  • Elle induit en erreur sur la nature de ce qu’il est approprié de dire. La vérité est souvent faite d’évidences, mises bout à bout. Exprimer des évidences n’a donc rien de répréhensible, au contraire.

Une autre réponse que l’on entend aussi fréquemment est : « C’est comme ça. » Vu le ton et la façon dont elle est tenue, elle cherche à couper court à la discussion ou à changer de sujet : il n’y a aucune ambiguïté au niveau de ce qu’elle transmet. Alors même qu’elle pourrait, dans l’absolu, signifier le contraire : « Oui, c’est comme ça, tu as raison, vas-y, continue ton analyse ! ». Cet aspect tragicomique illustre toute la capacité du système à inverser l’humain et à infliger des douches froides à ceux qui sont attachés à la vérité.

Le but de la personne qui tient ce type de réponse est de rabaisser celle qui parle afin de faire taire cette dernière car elle n’a pas envie d’ouvrir les yeux sur le système ou de penser à ses travers. La vérité la perturbe (la « pourrit », selon le jargon usité dans le monde du travail) et elle n’a « donc » pas envie de l’entendre. La personne veut continuer à gagner correctement sa vie, donc à rester selon la ligne du système, sans se poser de questions, ni avoir de souffrances. Les aspects psychologiques dominent et englobent les aspects intellectuels, tout en s’y opposant : dans l’exemple donné, le fait de travailler s’oppose à l’intérêt intellectuel pour les analyses de société.

Notons aussi que, comme souvent, lorsque le système a tort, il se donne raison ou du moins cherche à faire cela, par exemple en plaquant sur nous des motivations qui n’étaient pas les nôtres. L’hostilité de la personne n’est pas justifiée, au contraire on lui parlait avec de bonnes intentions. Mais, il est vrai que, dans le monde du travail, des salariés situés en bas de l’échelle peuvent, de façon opportuniste, tenir des propos antisystèmes afin de nuire aux autres, de les déprimer ou de les faire déraper. Puis, « étrangement », une fois qu’ils ont réussi, ils basculent dans le « camp pro-système » [3]. Un antisystème fallacieux est l’une des armes du système. Ce point, déjà abordé [4], le sera de nouveau dans un article ultérieur.

Conditionnement : des vertus… inversées en vices

En plus d’ignorer la vérité, bien des citoyens pratiquent le conditionnement, sur l’autre comme sur eux-mêmes. Selon le jargon du système, non seulement ils rejettent le « négatif », mais en plus ils cherchent le « positif ». Leur objectif est ainsi de développer leur mental : de cette façon, ils se sentent « forts » et pensent dégager cette image. Aller sur YouTube et remarquer la foultitude de vidéos ayant pour finalité « d’inspirer » autrui, lire les conseils de réussite présents en nombre quasi infini sur LinkedIn, permettent de réaliser l’ampleur de ce phénomène social.

Certes, le conditionnement a des vertus. Il suffit de penser à une séance de sport, notamment de sport de combat, pour le noter. Se conditionner ou se laisser conditionner par le coach (en général,  les deux vont de pair, comme expliqué à la fin de cette partie) permettent d’être « présent », dans un état physique et psychique qui soit dynamique. Le fait de s’être au départ forcé ou menti à soi-même a permis de réaliser avec plaisir et avec une certaine aisance les mouvements que l’on n’aurait pas pu faire sinon, ou du moins que l’on aurait réalisés en souffrant.  Le conditionnement, bien utilisé, est une sorte de mensonge initial qui engendre de l’honnêteté : on se libère de ses souffrances et de ses limites et, ce faisant, on devient le « vrai soi ».

Cependant, le système a l’art d’inverser les vertus en vices, en induisant en erreur, selon deux aspects :

  • Le contexte : le système donne le bon argument… à mauvais escient. Bien des parallèles, pour le moins discutables, sont effectués entre le monde du travail et les sports de combat. Ils ont pour origines la frustration de passer la plus grande partie de sa vie assis en réunion ou devant un écran, qui fait que le salarié, par inversion, veut se considérer et apparaître comme un « homme d’action », ainsi que l’habitude de vouloir tout utiliser, ceux qui font des sports de combat en loisirs cherchant à en tirer bénéfice au travail. Ce faisant, le système se donne raison, du moins en partie, puisque ses adeptes façonnent la société selon ses désirs. Mais cela ne change rien à la pertinence, prise au sens large, de ses propos. D’une part, le monde du travail n’est pas un ring de boxe, d’autre part, il n’a pas à en être un.
  • Le(s) seuil(s) d’inversion : « plus » est différent, voire contraire sur certains aspects. Pousser certaines pratiques à outrance change, et même inverse, leur nature. Le système en a conscience alors même que, dans le discours, il fait comme si cela n’était pas le cas. Son discours fallacieux en tant que tel contribue d’ailleurs à amplifier l’impact de cette inversion, du fait que le citoyen n’en a pas conscience ou pense consciemment qu’elle n’a pas lieu.

Ainsi, les tenants du système prônent de se conditionner en permanence au travail et, ce faisant, ils inversent les bienfaits du conditionnement : ce qui permettait dans un contexte approprié de s’affirmer, d’être soi, revient ici, au contraire, à renier sa personnalité. Le conditionnement est utilisé afin de reprogrammer humainement les salariés, en leur faisant jouer un rôle social qui leur collera ensuite à la peau, tout en leur donnant l’illusion que ce dernier correspond à affirmer leur personnalité de départ [3]. Se mentir à soi-même en permanence n’a in fine plus rien à voir avec se mettre en condition au début d’une séance de sport.

Autoriser, voire inciter, les citoyens à réfléchir librement permettrait d’aboutir à une société réellement meilleure, tandis que le système les conditionne à penser fallacieusement, selon ses dogmes, à y croire dur comme fer et à agir de la sorte.

Bien des citoyens, afin de garder une bonne estime d’eux-mêmes ou d’être en mesure de poursuivre leur carrière, se persuadent que leur vie est agréable et qu’ils s’améliorent, alors même qu’ils se dégradent, humainement et intellectuellement. D’ailleurs, tous les conseils de réussite sociale émis par les citoyens s’adressent non seulement aux autres, mais aussi, voire avant tout, à eux-mêmes : se duper soi-même implique, entre autres, de duper l’autre. Tandis que la réciproque est également vraie : duper l’autre demande de jouer un rôle auquel on peut ne pas croire au départ, mais qui, au fur et à mesure, nous colle à la peau, le « faux nous » remplaçant le « vrai nous ». Conditionnement d’autrui et auto-conditionnement vont de pair, notamment au sein de groupes socioprofessionnels.

L’être humain utilise son cerveau non plus pour raisonner, mais plutôt pour se raisonner. « Se raisonner » consiste à penser et agir selon le système, à considérer que tout ce qui lui correspond est juste, tandis que tout ce qui en dévie ou lui échappe est injuste. Voilà pourquoi les personnes pro-système disent les mêmes contrevérités, ont les mêmes « opinions », tiennent des propos « personnels » qui sont, parfois au mot près, les mêmes, alors qu’elles ne se connaissent pas toutes forcément : elles se sont façonnées selon une même idéologie, selon une même façon d’être, à savoir celles du système.

Et, en général, on a d’autant plus besoin de se raisonner que l’on souffre de la réalité, qu’on ne la supporte pas ou qu’on ne l’accepte pas. « Se raisonner » et « raisonner » sont, vu la réalité quotidienne, essentiellement incompatibles, les messages de conditionnement actant comme vérités des assertions inexactes. Les « vérités sociales » sont de plus en plus contraires à la réalité : cette inversion entre le vrai et le faux sera détaillée et analysée dans un prochain article.

Le système a imposé des vérités sociales qui inversent bien-être et mal-être, qui présentent comme avantageuses des conditions de vie difficiles. Ainsi, les avantages sociaux potentiels sont, pour la majeure partie des citoyens, en réalité assez limités, tandis que les inconvénients ne le sont pas, car le système sait faire « subitement » preuve d’une imagination et d’une intelligence sans bornes lorsqu’il s’agit de nous broyer. D’où son intérêt pour que les citoyens se focalisent sur le « positif » et oublient le « négatif », de bien plus grande ampleur, afin de maintenir, voire augmenter, leur adhésion et de faire croire que l’on est bien traité lorsque l’on travaille en son sein, que les avantages sont largement supérieurs et plus nombreux que les inconvénients.

Et, comme exposé dans la partie suivante, le conditionnement prôné va même plus loin que cela, en inversant le négatif en positif, en utilisant le négatif comme un tremplin. Du coup, le « positif » est fallacieusement considéré comme étant illimité, alors qu’en réalité le système, dans un élan de joie perverse, se glorifie de la façon dont il écrase les citoyens.

La lucidité inversée : lorsque l’auto-conditionnement est poussé à l’extrême

Ainsi, on lit ou entend une flopée de messages qui vantent les bienfaits du monde du travail, qui prônent de se réjouir de son quotidien plutôt que d’en souffrir. Ils invoquent un « positivisme » poussé à l’extrême [5], qui consiste à voir les inconvénients comme des avantages, en prétendant entre autres que, comme cela, on sera heureux et que notre vie deviendra géniale. Ce qui était sujet à souffrances est dorénavant source de réjouissances.

Dans les offres d’emploi, les inconvénients sont présentés, avec enthousiasme et fierté, comme des avantages, de par l’utilisation de mots-clés, souvent anglo-saxons, et plus largement d’un vocable travestissant la réalité quotidienne. Un emploi stressant est vanté comme dynamique, une ambiance de travail détestable, envahissant toute la vie des salariés, est présentée comme sympa, des tâches inintéressantes (par exemple lancer des requêtes dans des bases de données) font office de Graal intellectuel (dans l’exemple donné, le mot-clé « big data » est utilisé et « tout de suite » le poste devient « attractif »…).

Et pour rendre le tout encore plus crédible, quelques personnes ayant réussi socialement sont mises en avant, alors même que leurs cas sont particuliers ou contraires à la généralisation effectuée. Le système, afin de nous faire avaler ses fruits avariés causant l’empoisonnement voire la mort, prend plaisir à exposer quelques beaux fruits, ou du moins quelques fruits supposés comme tels.

Les nombreuses odes à la réussite sociale sont d’autant plus dangereuses du fait que, lorsqu’on suit les conseils donnés, on se sent, au départ, « réellement » mieux, alors même qu’en toile de fond c’est le contraire qui commence à se produire. Le système utilise, souvent à répétition, un plaisir à court terme afin d’engendrer durablement, voire définitivement, un mal-être ou pire : il aime duper en jouant sur les échelles de temps et, ce faisant, faire que les citoyens se sentent heureux et forts alors même qu’il les démolit. Son emprise, ainsi que la satisfaction qui en découle, en sont renforcées.

L’implacabilité actuelle du système repose en grande partie sur cette lucidité inversée. Le refus de bien des citoyens de faire face à leurs malheurs, et plus largement à ceux du monde, ainsi que leur volonté d’être heureux à n’importe quel prix, quitte à se mentir à eux-mêmes ou à changer de personnalité, donne le feu vert au système, alors qu’il faudrait a minima le stopper, au mieux le détruire. A partir du moment où les citoyens se réjouissent de leurs malheurs, ils plébiscitent, nourrissent, contribuent au système qui, en retour, va augmenter les malheurs en question et en ajouter d’autres. C’est un cercle vicieux, affiché comme vertueux : la société moderne est, de plus en plus, simultanément ignoble et joyeuse. Tout n’est plus que « positif », les pires sévices faisant office de traitements déférents et exemplaires.

Cette exemplarité fallacieuse correspond à l’une des évolutions récentes du système : initialement, il avait tendance à cacher ses mauvais traitements, ce qui lui nuisait si les « affaires » sortaient contre sa volonté, passaient dans le domaine public, du fait même qu’il en avait honte ; dorénavant, il s’en glorifie, les surexpose lui-même et les présente comme bons : le système garde la main et est fier de ses actes, quels qu’ils soient. Du coup, l’injustice fait office de justice, la méchanceté fait office de bonté. Le système utilise tout pour susciter l’adhésion… y compris ses mauvais traitements, et même surtout, puisque la lucidité est inversée. Maltraiter les citoyens devient rassembleur et permet de mettre la démocratie française au service d’une forme de dictature, présente à l’échelle mondiale.

Et cette dictature engendre des blessés et des morts. Les citoyens qui croient aux discours de réussite sociale, qui y adhèrent honnêtement, se sentiront au départ comme des « Superman », et ce, d’autant plus qu’ils pouvaient avoir du mal-être. En effet, alors même que ces citoyens sont en vérité faibles (car ils n’ont pas la force d’admettre puis d’affronter leurs souffrances), ils se sentent comme invincibles. Tandis qu’en parallèle le mal-être de fond, devenu totalement inconscient, s’aggrave, provoquant à moyen terme des troubles psychiatriques, dus à l’opposition flagrante entre conscient et inconscient. Et ce, d’autant plus que les citoyens se réjouissent des ennuis donc, entre autres, les attirent et font reposer leur vie dessus.

In fine, l’obsession pour la réussite sociale engendrera un double échec, à la fois personnel et social. Trop souvent, le salarié impacté, malade, ne se remettra jamais et sera chômeur à vie ou parqué dans des postes spécifiques, il restera marginalisé professionnellement et socialement pour le restant de ses jours. Tandis que, dans les cas les moins défavorables, il pourra retrouver en apparence sa vie de départ… mais sans être lui-même, du fait d’une médicamentation consistant en des prises de psychotropes  : environ un Français sur quatre en consomme [6]. Le monde du travail, en nous faisant courir après des avantages sociaux, nous fait perdre ou dégrader notre bien le plus précieux : nous-même.

Dire vrai, cette « maladie psychiatrique »…

Les citoyens tombés malades auront tendance à le rester du fait même qu’aller consulter un psychiatre aggravera en général leur état, pendant que, ce faisant, ils auront la certitude de se soigner, voire de guérir. Les « remèdes » du système sont souvent des pommades anesthésiantes et empoisonnées, qui aggravent nos plaies tout en nous endormant ou en nous rendant béats.

Ainsi, l’auto-conditionnement a envahi toute la société et fait office de normalité. Par conséquent, un citoyen qui ne le pratique pas sera vu par bien des psychiatres comme paranoïaque ou dépressif, et ce, d’autant plus qu’il tient des propos pertinents sur sa vie et sur la société en général.

Les psychiatres en question utilisent principalement ces deux méthodes :

  • Nier les faits rapportés par le patient, sous prétexte qu’il affabule parce qu’il est atteint psychiquement. Avec paternalisme, tel un adulte qui dit à un enfant : « C’est ton imagination. », ils persisteront à ne pas croire leur patient jusqu’à ce que le discours de ce dernier corresponde ce qu’ils attendent. Certes, les discours des patients peuvent contenir des biais, des imprécisions, des inexactitudes. Mais, tout de même, ces derniers connaissent mieux leur propre vie qu’un psychiatre qui les côtoie dans son cabinet durant une demi-heure. De plus, le fait de souffrir n’implique pas obligatoirement qu’on ne sera pas factuel, au contraire même : on a tendance à être précis, à détailler ce qui nous fait souffrir.
  • Poser des diagnostics psychiatriques sur le patient, alors même que ce dernier réalise des interprétations ou des analyses pertinentes. Un patient harcelé dans son environnement professionnel qui, à juste titre, affirme que ses collègues ont de mauvaises intentions à son égard sera catalogué comme paranoïaque. Un patient exploité par son entreprise, travaillant du matin au soir pour gagner à peine de quoi vivre, sera, s’il « ose » s’en plaindre, étiqueté comme dépressif. Cette posture adoptée par trop de psychiatres entraîne, de fait, qu’ils se font complices des sévices (harcèlements, conditions de travail inadmissibles, etc.) infligées à leurs patients.

Les diagnostics erronés, les jugements, portant sur les patients sont plausibles car le système est innovant lorsqu’il s’agit de détruire (voir la partie « Conditionnement : des vertus… inversées en vices »). Du coup, un patient qui expose de façon neutre les difficultés qu’il rencontre dans sa vie peut vite apparaître comme pessimiste et être étiqueté, médicalement et socialement, comme paranoïaque ou dépressif. Alors même qu’il est plutôt optimiste, la réalité étant encore plus grave que ce qu’il raconte : à partir du moment où le système n’a pas de limites, il devient impossible de tout observer, de tout énoncer. Idem lorsqu’il s’agit de prévoir, d’anticiper le futur proche : le milieu socioprofessionnel s’avère être encore plus détestable que ce que l’on imaginait, et pourtant on avait « mis la dose », vu l’ampleur du rejet et des sévices subis.

De plus, la relation est fortement asymétrique entre le psychiatre et le patient : le psychiatre a tendance à faire office de gourou, le patient étant dépossédé encore plus de sa liberté de penser, de parler et d’agir, bref d’être maître de lui-même. In fine, trop souvent, les services psychiatriques ne résorbent pas la détresse de leurs patients, au contraire : ils s’appuient dessus afin de maintenir leur emprise sur ces derniers. Par conséquent, le contexte est propice aux jugements, rendus possibles et même encouragés.

Les méthodes décrites font que les consultations en psychiatrie finissent par correspondre à du théâtre, où le patient joue un rôle qui consiste à dire ce que son psychiatre veut entendre et non plus à dévoiler la réalité de sa vie, tout en faisant mine que cela est toujours le cas.

Les consultations contribuent donc à instaurer une inversion entre le vrai et le faux, les propos fallacieux tenus par le patient « lui-même » (soumis à la pression exercée par son psychiatre) faisant office de vérités sur sa vie. Les méthodes utilisées sont analogues à celles du monde du travail, où le salarié doit tenir « de lui-même » à ses supérieurs hiérarchiques le discours qu’ils veulent entendre. Et s’y raccrocher, s’y tenir.

Les psychiatres concernés font partie des tenants du système, contribuent à imposer sa folie comme de la raison et, alors même qu’ils sont censés protéger leurs patients, plongent ces derniers encore plus dans cette folie, au nom d’une insertion sociale. Au lieu de soigner leurs patients en les amenant à prendre conscience des dangers du positivisme (qui a contribué à les rendre malades), ils leur imposent eux aussi ce même positivisme, sous peine de diagnostiquer une aggravation de leur état. Le diagnostic médical est, au moins selon cet aspect, contraire à la réalité. Or, un diagnostic juste est l’étape préalable à toute guérison… tandis que des erreurs vont se répercuter sur les « soins ».

Trop de psychiatres imposent à leurs patients « récalcitrants » (ceux qui s’en tiennent à leur vision du monde, souvent pertinente) des étiquettes sociales inversées, rendues d’autant plus crédibles et lourdes de conséquences qu’elles correspondent à un diagnostic médical et engendrent des prises de médicaments, notamment de psychotropes [7].

Conclusion : rejeter une liberté d’expression factice afin de garder sa liberté de penser

Il y a, ironiquement, un fond de pertinence, en grande partie involontaire, dans les méthodes de ces psychiatres. Vu l’omniprésence du système et de la société (tout peut être vu comme social), le meilleur moyen, voire le seul, pour ne pas avoir d’ennuis dans la vie est de ne pas sortir du rang, de faire semblant que tout va bien, et ce, où que l’on soit, de protéger son psychisme et sa situation sociale, en ne parlant pas ou peu ou, si on y est contraint, en tenant un discours formaté, aseptisé et convenu (mais cela doit rester rare, car sinon le rôle social colle à la peau, comme mentionné dans la partie « Conditionnement : des vertus… inversées en vices » : à force de manipuler l’autre, on se manipule soi-même). Ne pas livrer ses états d’âme à qui que ce soit, et ce, d’autant plus qu’on est encouragé à le faire, permet de garder sa liberté de penser même si, pour cela, on sacrifie sa liberté d’expression. D’ailleurs, le système a multiplié les incitations à se livrer afin de reprogrammer les citoyens tout en prétextant les écouter ou les suivre [3], que ce soit au travail (responsable RH, supérieur, médecin, etc.) ou dans la vie privée (médecin, réseaux sociaux, etc.). Au sens strict, guérir implique de se taire lorsque l’on est encouragé à dire la vérité, à « tout dire »,  par exemple… par son psychiatre.

Sources

[1] https://docteurzinzin.com/2021/05/06/nouvelle-normalite/ La « nouvelle normalité » : sur l’inversion entre folie et raison

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/L’Ingénu L’Ingénu

[3] https://docteurzinzin.com/2020/05/25/societe-humain/ Lorsque la société reprogramme l’humain

[4] https://docteurzinzin.com/2019/08/20/antisysteme-apparent/ L’antisystème apparent

[5] https://docteurzinzin.com/2018/05/15/super-heros/ Une réhabilitation des super-héros : contre le positivisme à tout prix

[6] https://www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2003/mag1121/ps_7222_psychotropes_consommation_francais.htm Un Français sur quatre sous psychotropes !

[7] https://docteurzinzin.com/2017/07/10/chiens-en-psychiatrie/ Des chiens pour éviter les psychotropes

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