L’anti-système vendu par la plupart des médias correspond, par de nombreux aspects, à du pro-système. L’exemple de Didier Bille, ancien directeur des ressources humaines, qui a publié « DRH, la machine à broyer : recruter, casser, jeter », est révélateur [1].
Des « bourreaux repentis », qui ont gagné confortablement leur vie en adhérant au système, vendent leurs livres en passant dans les médias, afin de dénoncer les pratiques qu’ils ont longtemps appliquées.
Pendant que ces derniers s’expriment abondamment, bien des victimes, bien des associations, qui luttent depuis des dizaines d’années contre les pratiques dénoncées, essaient, sans succès, d’être entendues. Décourageant et injuste : ce sont des anciens « bourreaux » qui sont présentés comme à la pointe de la lutte pour les droits des salariés. Cela s’explique par le fait que, grâce à leurs réseaux, ils peuvent plus facilement intervenir dans les médias. Réseaux qu’ils ont développés lorsqu’ils étaient « bourreaux » : avoir servi le système leur permet ensuite de le critiquer.
Indépendamment de tout aspect moral, on pourrait penser, au premier abord, que les « bourreaux » connaissent les travers du système, et donc sont les plus à même de les dénoncer, quand ils ont des états d’âme. Mais cela est inexact, car leur point de vue correspond, de manière inhérente, à un manque de compréhension : ils croient que leurs victimes se sont laissées faire.
La réalité est inverse : ce que ces « bourreaux » perçoivent comme consentement des victimes correspond à une implacabilité du système qu’ils sont incapables de capter. Contrairement aux « bourreaux », leurs victimes n’ont ni l’argent, ni de puissants réseaux. Ainsi, elles savent que plus elles se débattent, plus elles seront harcelées. Elles ont donc tendance à ne pas s’opposer frontalement aux dérives subies.
D’ailleurs, Didier Bille le dit lui-même au début de la phrase suivante [1] : « Je n’aurais pas pu le [ce que j’ai fait] faire si la loi ne l’autorisait pas, si les risques et les punitions n’étaient pas minimes », ce qui montre bien que les salariés ne peuvent pas faire grand chose. Mais la fin de sa phrase « si les salariés ne se laissaient pas faire » n’est pas cohérente avec le début. On trouve, dans cette critique du système, une forme d’illogisme similaire à un discours idéologique… pro-système.
Dire que les victimes se laissent faire c’est dire qu’elles sont responsables, au moins en partie, de leur propre malheur. Typique d’une pensée pro-système qui responsabilise les victimes afin de déresponsabiliser les « bourreaux ».
Ainsi, les discours des « bourreaux repentis » manquent souvent de justesse sur un plan psychologique. Ils décrivent leurs dérives afin de soulager leur conscience, mais vont rarement jusqu’au bout de la démarche, à savoir réaliser pleinement l’impact psychologique de leurs actes sur leurs victimes.
Ces « bourreaux repentis » ont un discours qui ne réhabilite pas, mais au contraire rabaisse, leurs victimes. Le choix des mots est cruel. Certes, les termes « casser » et « jeter » peuvent être vus comme une manière de dénoncer violemment des dérives. Mais, pour les victimes, ils sont particulièrement blessants et destructeurs.
Le système aime la surenchère, c’est ce qui lui permet de vendre. Ainsi, ce sont souvent les discours les plus irrévérencieux qui trouvent grâce aux yeux de ce dernier. Logique : le système a plus de mal à s’approprier et à détourner les critiques fines.
Par contre, ces « bourreaux » tiennent en général des propos finalement assez indulgents envers eux-mêmes [1] : ils se sont progressivement laissés entraîner et/ou endormir, ils ne sont pas « rentiers », ce sont des pratiques générales du secteur, leur ego a été flatté, etc. Ils amoindrissent donc leur propre capacité à faire des choix. Cette forme d’irresponsabilité est trop souvent observée chez les personnes qui ont eu ou ont… des postes à responsabilité.
En conclusion, l’anti-système apparent aboutit à un transfert de culpabilité des « bourreaux » vers leurs victimes.
Source
[1] https://www.youtube.com/watch?v=abHrEH2wwIg&feature=youtu.be Didier Bille, ancien DRH, avoue : «Les salariés doivent craindre les ressources humaines »