Introduction
Souvent, les lanceurs d’alerte ne sont pas écoutés, et deviennent même rejetés. L’objet de cet article est d’expliquer pourquoi il peut être difficile d’être compris, lorsqu’on a raison.
A) Une liberté d’expression… couplée à une écoute orientée, voire malveillante
Notre société se veut basée sur la liberté d’expression et sur l’écoute. De nombreuses professions consistent, en apparence, à écouter d’autres personnes, par exemple :
- Le politique écoute les citoyens.
- Le responsable des ressources humaines (RH) écoute les salariés.
- Le présentateur télé écoute les intervenants.
Mais, cette écoute est fréquemment orientée, car elle a pour but de faire rentrer de force la personne qui s’exprime dans ce qui est communément appelé le « système », à savoir un cadre de pensée et une façon d’être rigides, en ligne avec la société actuelle et ses travers. Ainsi :
- Trop de politiques ne veulent pas mettre en place une politique en ligne avec les aspirations des citoyens, mais faire croire que les citoyens sont satisfaits de la politique menée.
- Trop de responsables RH ne souhaitent pas prendre en compte les remarques constructives des salariés sur la gestion du personnel, et, au contraire, détectent les salariés les plus pertinents afin de les marginaliser.
- Trop de présentateurs sont critiques, voire agressifs, avec les intervenants développant des idées « hors système », et au contraire peu incisifs avec les autres.
In fine, les écoutes en question sont
- sélectives : les remarques en ligne avec le « système » sont considérées comme engageantes, en invoquant le « respect de la parole donnée ». Tandis que les critiques ne sont pas retenues, en tout cas pas telles quelles.
- déformantes : les critiques émises, lorsqu’elles sont retenues, sont détournées, à des fins autres, voire contraires à leurs objectifs de départ.
Ces dérives, fréquentes et faciles à effectuer, ont un impact dévastateur sur le long terme, le « système » s’appropriant les critiques à son encontre, afin d’étendre son hégémonie, tout en donnant une apparence de remise en question et de pluralisme.
Un exemple : suite aux critiques légitimes concernant la lutte trop faible contre le changement climatique, la « finance verte », portée par des « banquiers écolos », s’est développée. On assiste, depuis quelques années, à des records en matière de fusion-acquisition dans le secteur des énergies renouvelables [1]. La lutte contre le changement climatique, initialement très critique envers les multinationales, est dorénavant le fer de lance… de multinationales.
Ce type de situation, où le bourreau est présenté comme le sauveur, est au cœur de la dynamique sociale actuelle. Cela donne lieu à des dérives de plus en plus dures à prouver juridiquement… alors que, paradoxalement, elles sont très visibles.
B) Débat d’idées en apparence, guerre psychologique dans le fond
Notre société est faussement intellectuelle : en apparence, c’est l’échange d’idées qui prime ; en réalité, ce sont les attaques personnelles qui dominent.
Ainsi, ceux effectuant réellement leur rôle d’écoute subissent trop souvent des attaques personnelles :
- Un politique qui prend en compte les aspirations des citoyens risque d’être taxé de populiste ou d’extrémiste et, ce, même s’il a par le passé travaillé au sein du pouvoir. François Asselineau, qui fut notamment ancien directeur de cabinet de Charles Pasqua, est désigné comme populiste depuis qu’il est critique envers les politiques européenne et américaine [2].
- Un responsable RH qui relaie l’avis des salariés s’expose à être accusé d’angélisme.
- Un présentateur télé, laissant tous ses invités s’exprimer sur un pied d’égalité, peut être soupçonné de partager les opinions les plus contestables. Frédéric Taddeï a subi de telles allégations [3].
De ce fait, les citoyens développant des idées personnelles sont bien souvent « écoutés » par des personnes qui cherchent à orienter leur discours. S’ils persistent à vouloir développer leurs idées, ils sont alors la cible de pressions psychologiques, réalisées afin de les faire taire, leur donner une mauvaise image, les pousser au dérapage, et/ou les forcer à se désavouer eux-mêmes.
Ces pressions, souvent d’autant plus dures que le citoyen développe le fond de sa pensée, sont rentrées dans les normes, et servent même à divertir une partie de la population :
- Les salariés n’adhérant pas à la politique menée au sein de leur entreprise sont régulièrement la cible de moqueries et de rumeurs fallacieuses, comme l’illustre par exemple la série Caméra Café [4].
- Dans certaines émissions, les invités se font « vanner » lorsqu’ils tentent de donner leur opinion. Ces séances d’humiliation publique font le plus grand régal d’une partie des téléspectateurs.
Comment peut-on prétendre vouloir lutter contre les injustices, alors que l’on s’en délecte ?
Certes, ce n’est pas parce qu’une idée est personnelle, qu’elle est forcément juste. Mais, souvent, elle l’est, au moins en partie, car elle correspond à un vécu et provient d’une réflexion.
C) L’esprit humain se focalise sur les détails
L’être humain est, par nature, imparfait. Par conséquent, tout discours, même globalement juste, contient une part de fausseté.
Or, l’esprit humain « accroche » souvent sur des détails : c’est « l’arbre qui cache la forêt ». Les personnes ayant globalement raison sont discréditées à partir des quelques maladresses qu’elles commettent. Une erreur a tendance à être d’autant plus visible que le reste du discours est de qualité.
Les imperfections d’un discours sont utilisées afin de discréditer l’ensemble de ce dernier, ainsi que l’orateur lui-même. L’impact psychologique de ce type de décrédibilisation est important, car la quête de vérité correspond à une démarche personnelle, longue et difficile.
Cette façon de procéder est d’autant plus efficace qu’une personne honnête intellectuellement assume les arguments qu’elle donne, même lorsque cela ne l’avantage pas, et en est, d’une certaine façon, prisonnière… ce qui ouvre la porte à une contradiction efficace.
Au contraire, aller dans le sens du vent permet de conforter son statut : étant donné que les objectifs poursuivis ont une forte probabilité d’être atteints, on apparaît comme un leader… alors qu’on a seulement suivi l’ère du temps. Cette pratique, fréquente dans le monde du travail et sur les réseaux sociaux, a pour but de susciter l’adhésion, sans prendre de risque : les idées développées ne sont plus réellement celles de la personne qui s’exprime, mais celles de l’audience-cible.
Vu le fonctionnement de notre société, être honnête intellectuellement, c’est risquer d’être jugé comme manquant de souplesse et d’intelligence politique. Être intelligent ne consiste plus à faire ressortir la vérité, mais au contraire à jouer avec.
D) La vérité peut faire souffrir
Le rejet de la vérité se comprend aussi par le fait qu’à court terme elle peut faire souffrir. C’est pour cela que bien des personnes refusent de voir le monde tel qu’il est.
Certains prônent un positivisme forcé et présentent les lanceurs d’alerte comme toxiques, du fait qu’ils empêcheraient leur entourage « d’avancer dans la vie ». Cependant, sur le long terme, ce sont les lanceurs d’alerte qui sont réellement positifs, car ils contribuent à un monde avec moins d’injustices. Tandis qu’un positivisme forcé constitue un frein à toute critique sociale, même constructive, et peut donc être considéré comme… toxique.
D’autres ne cherchent pas à tout prix à être « positifs », mais s’arrêtent à un discours plausible, c’est-à-dire critique à moindre coût. Ce type de discours, au lieu de faire ressortir les souffrances des victimes, les masque et permet de cacher des dysfonctionnements profonds de notre société.
Au contraire, quelqu’un cherchant à décrire précisément la réalité sociale sera vu comme paranoïaque ou complotiste, car cette dernière est souvent incroyable : les débordements les plus gros sont les plus durs à dénoncer, à cause même de leur énormité. Par exemple, qui aurait pu penser, avant d’en être informé, qu’en deux ans plus d’une trentaine de salariés de France Télécom se seraient suicidés [5]?
Plausibilité et vérité ne font pas bon ménage.
E) Une « pensée collective »… émanant d’une minorité
Une certaine morale, prônée dans notre société, notamment dans des entreprises, met en avant le collectif, au détriment de l’ego. Elle sert, au premier abord, à limiter les dérapages individuels. Mais, in fine, elle empêche de créer des collectifs réels, qui au contraire iraient de pair avec une montée des ego, et permet d’assurer l’obéissance « volontaire » de la majorité à une minorité.
Détruire la personnalité des citoyens est devenu « moral ». Un Français sur quatre est sous psychotropes [6].
Cette destruction de personnalité s’accompagne d’un conditionnement intellectuel. Des implications (par ex. chômeur => incompétent) et des oppositions (par ex. entre technique et communication) fallacieuses sont relayées à outrance, alors qu’elles proviennent d’une minorité, qui prétend, à tort, refléter l’avis de la majorité, et qui d’ailleurs cherche à le refléter réellement, de par cette forme de lavage de cerveau.
Combien de politiques affirment s’exprimer « au nom des Français », alors que le contenu même de leurs discours dénigre ces derniers ? Combien de fois la justice a-t-elle été rendue « au nom du peuple français », alors qu’elle est très inégalitaire ? Comme le montre une étude exposée par l’Observatoire des inégalités, les prévenus dont le revenu est inférieur à 300 euros mensuels sont trois fois plus souvent condamnés à de la prison ferme que ceux dont le revenu est supérieur à 1 500 euros mensuels, toutes choses égales par ailleurs [7].
Ces réflexes de pensée font que les personnes conditionnées peuvent être malhonnêtes intellectuellement… en toute bonne foi.
Conclusion
Bien des citoyens déclarent vouloir améliorer la société. Mais, pour nombre d’entre eux, c’est plutôt la société qui les change, et ce, pas forcément en mieux. Quant aux autres, ils doivent, pour avoir une chance d’être compris, exposer calmement leurs arguments… tout en faisant souvent face à des pressions psychologiques et des attaques personnelles, destinées à les déstabiliser et les décrédibiliser.
Sources
[1] https://www.alumneye.fr/la-finance-sinteresse-aux-energies-renouvelables/ La finance s’intéresse aux énergies renouvelables
[2] https://www.youtube.com/watch?v=EpQaG2CZKmo François Asselineau est-il « populiste » ou « europhobe » ?
[3] https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/l_animateur_frederic_taddei_accuse_de_complicite_avec_tariq_ramadan_par_manuel_valls_408056 L’animateur Frédéric Taddeï accusé de « complicité » avec Tariq Ramadan par Manuel Valls
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Caméra_Café_(série_télévisée,_2001) Caméra Café
[5] http://www.lefigaro.fr/societes/2016/07/07/20005-20160707ARTFIG00115-suicides-a-france-telecom-le-rappel-des-faits.php Suicides à France Télécom : le rappel des faits
[6] http://www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2003/mag1121/ps_7222_psychotropes_consommation_francais.htm Un Français sur quatre sous psychotropes !
[7] https://www.inegalites.fr/La-justice-francaise-n-est-pas-juste?id_theme=24 La justice française n’est pas juste