Turquie et Forces démocratiques syriennes

Introduction

La situation en Syrie cristallise bien des caractéristiques des relations internationales, à savoir :

  • Des ambiguïtés sur l’objet : l’existence d’enjeux divers, et souvent contradictoires, a tendance à rendre les objectifs des différents protagonistes flous et mouvants.
  • Des ambiguïtés sur le sujet : identifier alliés et rivaux est plus que délicat. D’ailleurs, une vision manichéenne s’avère souvent inopérante.

Le présent article a pour vocation d’exposer ces ambigüités.

Forces en présence

Les forces présentes en Syrie sont les suivantes [1] :

  • Forces loyalistes : forces soutenant le régime baasiste dirigé par Bachar el-Assad. Elles se composent de [2] :
    • L’armée syrienne, affaiblie par des dizaines de milliers de désertions et des lourdes pertes.
    • Milices pro-gouvernementales, généralement issues de la communauté alaouite : les shabiha (milices non officielles) et les Forces de défense nationale (formées par le Corps des Gardiens de la révolution islamique).
    • Forces pro-iraniennes: Hezbollah (milice libanaise chiite pro-iranienne) et milices chiites (armées et entraînées par l’Iran)
  • Forces russes : la Russie a répondu favorablement à la demande officielle du président syrien Bachar el-Assad d’aide militaire, en date du 30 septembre 2015 [3].
  • État islamique (EI) ou « Daech » :
    • Cette organisation salafiste djihadiste a été créée en 2006 par, entre autres, Al-Qaïda en Irak [4].
    • En 2012, l’État islamique d’Irak (EII) commence à s’étendre en Syrie et devient, le 9 avril 2013, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).
    • Le 29 juin 2014, l’EIIL annonce le rétablissement du califat sous le nom d’État islamique dans les territoires sous son contrôle et proclame son chef, Abou Bakr al-Baghdadi. L’État islamique, devenu rival d’Al-Qaïda, reçoit l’allégeance de différents groupes djihadistes.
    • Actuellement, on estime que l’EI a perdu 95 % des territoires qu’il contrôlait en Irak et en Syrie.
  • Coalition anti-EI :
    • La coalition anti-EI, menée par les États-Unis, a commencé à intervenir militairement contre l’EI et le Front al-Nosra en août 2014 [5]. Elle prend part à la seconde guerre civile irakienne et à la guerre civile syrienne.
    • Elle rassemble, entre autres, les principales armées européennes, mais les interventions militaires sont principalement américaines. De plus, ces dernières sont essentiellement aériennes.
  • Forces démocratiques syriennes (FDS) :
    • Cette coalition militaire, active dans le nord de la Syrie, a été formée le 10 octobre 2015 [6]. Il s’agit d’un regroupement de divers groupes religieux et ethniques, unis par une hostilité envers l’État islamique (EI).
    • Elle est composée presque de moitié par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), cette organisation étant considérée comme terroriste par la Turquie, mais pas par les autres États, dont notamment les États-Unis [7].
    • Explication : bien des Kurdes, répartis entre les quatre pays voisins que sont l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie, souhaiteraient la création d’un État kurde, à savoir un grand Kurdistan, ou a minima bénéficier d’une certaine autonomie (pour le moment seul le Kurdistan irakien jouit d’un statut autonome) [8]. Les tensions sont particulièrement vives en Turquie, où les Kurdes sont régulièrement victimes de discriminations, ce qui provoque certains soulèvements armés. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme terroriste par une grande partie de la communauté internationale, est à l’origine d’opérations de guérilla [9]. La Turquie considère également les YPG comme une organisation terroriste à cause de leur proximité avec le PKK, tandis que le reste de la communauté internationale est sensible au fait que les YPG luttent contre l’EI.
    • D’ailleurs, les FDS, et donc les YPG les constituant en partie, reçoivent une aide importante de la coalition anti-EI menée par les États-Unis : formation des combattants, envoi d’équipements, appui aérien, etc. [6]
    • Bien que les FDS comprennent plusieurs groupes rebelles anti-Assad, ils ont adopté une position la plus neutre possible envers le régime d’Assad, du fait que ce dernier avait accordé aux Kurdes une autonomie de fait au début de la guerre civile, afin d’éviter qu’ils ne rejoignent les rebelles [6]. Ils ont même coordonné certaines de leurs actions avec l’armée syrienne, notamment lors de l’offensive du nord d’Alep en février 2016.
    • La Russie est également une alliée des FDS, depuis la destruction d’un avion russe en 2015 par l’armée turque à la frontière turco-syrienne [6]
    • En plus de la Turquie, les FDS ont comme opposants les factions rebelles les plus islamistes [6].
  • Autres groupes rebelles : il existe une multitude de factions rebelles. Les passer en revue dépasserait le cadre de cet article, notamment à cause de leur nombre, ainsi que de visées et d’alliances fluctuantes. Les principales organisations rebelles en Syrie sont [2] :
    • Le Front al-Nosra (rebaptisé en 2016 Front Fatah al-Cham) : groupe terroriste, d’idéologie salafiste djihadiste, affilié à Al-Qaïda de 2013 à 2016 [10]. Il a été dissous le 28 janvier 2017, pour former avec d’autres groupes rebelles islamistes un nouveau mouvement : Hayat Tahrir al-Cham (« Hetech »).
    • Ahrar al-Cham : groupe salafiste mais non-djihadiste [11]. Il opère principalement dans les gouvernorats d’Alep et d’Idleb. Il était membre du Front islamique syrien (qui regroupaient des brigades islamistes à dominante salafiste) [12]. Depuis 2013, il est membre du Front islamique, regroupant des factions venant du Front islamique syrien et du Front islamique de libération syrien (islamistes modérés), tous deux dissous.
    • Armée syrienne libre (ASL) : formée le 29 juillet 2011, elle était initialement la principale force armée opposée au régime de Bachar el-Assad, avant l’émergence de l’État islamique [13]. Elle rassemblait plusieurs factions aux idéologies disparates. De ce fait, son positionnement par rapport à l’État islamique était parfois peu clair, certaines factions ayant combattu aux côtés de combattants djihadistes. L’ASL s’est beaucoup fragmentée, certaines de ses factions ayant d’ailleurs rejoint les FDS.
  • Forces armées turques :
    • Fin août 2016, l’armée turque est directement intervenue au Nord de la Syrie pour chasser l’État islamique de sa frontière et empêcher le PYD d’établir une continuité territoriale entre les différents cantons de la région fédérale du Rojava [2].
    • Depuis le 20 janvier, les forces armées turques attaquent les FDS, dans l’enclave kurde d’Afrin (opération « Rameau d’olivier ») [1]. Là encore, la Turquie cherche à sécuriser sa frontière, et considère les FDS comme une menace.
    • La communauté internationale a une certaine impuissance : elle cherche à ménager son allié turc, mais n’a pas d’hostilité, voire est reconnaissante, envers les FDS. L’Allemagne, redoutant une importation du conflit entre Turcs et Kurdes sur son territoire, a suspendu la modernisation de chars vendus à la Turquie, utilisés à Afrin.
    • Le gouvernement turc adopte une attitude vindicative, menaçant d’étendre à l’est, vers Minbej, le conflit avec les FDS, et sommant les États-Unis de se retirer [15].
    • L’armée turque et l’organisation islamiste Hayat Tahrir al-Cham luttent de facto toutes deux contre les FDS [16].

La situation actuelle des FDS est schématisée ci-dessous :

Synthese FDS

Conclusion

Vu la tournure que prennent les évènements, la guerre en Syrie n’est pas prête de se terminer. Plusieurs leçons, amères, de politique internationale sont encore ici vérifiées :

  • L’absence de reconnaissance : les FDS ont été décisives dans la lutte contre l’État islamique, ce qui a été, entre autres, bénéfique pour la Turquie. Le gouvernement turc aurait pu prendre ce paramètre en ligne de compte, pour au moins éviter un conflit total avec les FDS.
  • Le poids du passé : le fait que le gouvernement turc reste campé sur des positions très dures s’explique par les attentats commis par le PKK, proche des YPG.
  • L’inertie de la communauté internationale : les FDS ont beau avoir beaucoup d’alliés, ces derniers ont, pour l’instant, une position attentiste, même si les États-Unis sont de plus en plus critiques.

Mise à jour

Le 31 janvier, Emmanuel Macron a qualifié de « potentiels terroristes » les Kurdes visés en Syrie [17]. La position attentiste du gouvernement français a ainsi tendance à évoluer vers une position de soutien au gouvernement turc.

Mise à jour (2)

La position du gouvernement français a changé [18]. Jeudi 29 mars, Emmanuel Macron a reçu une délégation des FDS. Il a « assuré les FDS du soutien de la France […] pour prévenir toute résurgence de Daech ». « La coopération militaire de la France avec les FDS vise à poursuivre la lutte contre l’État islamique. Elle n’est pas dirigée contre la Turquie. »

Sources

[1] http://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/01/23/syrie-les-allies-occidentaux-de-kurdes-impuissants-face-a-l-offensive-turque_5245549_1618247.html Syrie : les alliés occidentaux des Kurdes impuissants face à l’offensive turque

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_syrienne Guerre civile syrienne

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Intervention_militaire_de_la_Russie_en_Syrie Intervention militaire de la Russie en Syrie

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/État_islamique_(organisation) État islamique

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Coalition_arabo-occidentale_en_Irak_et_en_Syrie Coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_démocratiques_syriennes Forces démocratiques syriennes

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Unités_de_protection_du_peuple Unités de protection du peuple

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Kurdes Kurdes

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Kurdistan_turc Kurdistan turc

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_al-Nosra Front al-Nosra

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahrar_al-Cham Ahrar al-Cham

[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_islamique_(Syrie) Front islamique

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/Armée_syrienne_libre Armée syrienne libre

[14] http://www.lemonde.fr/international/article/2018/01/26/syrie-l-otan-s-inquiete-des-visees-turques_5247504_3210.html Syrie : l’OTAN s’inquiète des visées turques

[15] https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/syrie-la-turquie-appelle-les-etats-unis-a-se-retirer-de-minbej_1979949.html Syrie : fermeté d’Ankara contre Washington, appel de groupes kurdes au monde

[16] http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/01/25/a-afrin-forces-turques-et-djihadistes-se-cotoient-dans-les-combats_5246838_3218.html A Afrin, forces turques et djihadistes se côtoient dans les combats

[17] http://www.rtl.fr/actu/politique/macron-qualifie-de-potentiels-terroristes-les-kurdes-vises-par-la-turquie-en-syrie-7792074967 Macron qualifie de « potentiels terroristes » les Kurdes visés par la Turquie en Syrie

[18] http://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/03/29/une-delegation-des-forces-democratiques-syriennes-recue-a-l-elysee_5278326_1618247.html Macron assure les Kurdes syriens du « soutien » de la France lors d’une rencontre à l’Elysée

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