La physique pour mieux comprendre le monde

Introduction : philosophie des sciences

Nombre de concepts clés en sciences ont des applications bien plus larges que leur domaine de départ, et constituent même de véritables leçons de vie. Ainsi, la philosophie des sciences est la branche de la philosophie qui étudie les fondements philosophiques, les systèmes et les implications de la science [1]. Dans l’Antiquité, science et philosophie allaient de pair ; c’est au XXème siècle que les liens entre ces deux domaines de pensée ont commencé à se distendre [2].

Le constat précédent s’applique notamment aux sciences physiques, dont la raison d’être est l’étude du monde qui nous entoure sous toutes ses formes [3]. Avant le XXème siècle, nombre de physiciens étaient également philosophes : Aristote, Descartes, Pascal, Leibniz ou Poincaré sont des exemples célèbres [2].

L’article a pour objectif de donner quelques exemples de concepts introduits en sciences physiques, et d’en dégager des vérités s’appliquant plus largement.

Newton : l’existence de l’immatériel

Isaac Newton (1643-1727) a montré que le mouvement des objets sur Terre et des corps célestes sont gouvernés par les mêmes lois naturelles [4]. Il développa la loi universelle de la gravitation, qui décrit la gravitation comme une force responsable de l’attraction entre des corps ayant une masse [5] : la pomme tombe toujours perpendiculairement au sol, car la matière attire la matière (Terre et pomme s’attirent mutuellement). Ainsi, la notion de gravitation était subitement venue à l’esprit de Newton, alors que ce dernier, d’une humeur contemplative, était assis à l’ombre de pommiers [6]. Cette anecdote a été caricaturée par Gotlib.

Newton fut le premier à formaliser précisément la notion de force [7]. Une force correspond à une interaction entre deux objets ou systèmes, capable de leur imposer une accélération (i.e. d’induire un changement de vitesse). La notion de force est au centre de la mécanique classique et est toujours très utilisée, alors qu’elle n’est pas une réalité matérielle. Il est même possible de décrire le mouvement des objets sans jamais utiliser cette notion, à l’aide de la mécanique analytique (de portée plus générale que la mécanique classique) [8]. Ainsi, certains physiciens voient le concept de force comme un artifice de modélisation, commode mais non indispensable [7]. Ce n’est pas le cas de l’auteur de cet article qui pense que le concept de force correspond à une réalité, immatérielle certes, mais réalité tout de même. D’ailleurs, la mécanique analytique fait appel à des notions beaucoup plus abstraites, et somme toute moins parlantes, que la mécanique classique, ce qui explique que c’est cette dernière qui est enseignée en lycée (la mécanique analytique a cependant plusieurs mérites, dont celui de faire le lien, sur le plan conceptuel, entre mécanique classique et mécanique quantique).

Une idéologie, très présente de nos jours, notamment dans le monde du travail, consiste à opposer le matériel et l’immatériel, voire à nier l’immatériel. Ainsi, cette idéologie oppose faits et sentiments, et prône des réactions basées uniquement sur les faits, sans tenir compte des émotions. Certes, il est souvent préférable de ne pas réagir « à chaud » lors d’un conflit, mais il ne faut pas pour autant ignorer ses sentiments : il est préférable de les analyser. La réflexion introspective est hélas peu prônée dans une société qui se veut toujours en mouvement, peu importe vers quoi.

Pourtant, les êtres humains ont des sentiments, c’est un fait. L’idéologie précédente confond ainsi fait et fait matériel. C’est le lien entre matériel et immatériel qui permet de comprendre la société dans laquelle on vit, de déceler les « forces » qui sont à l’œuvre. Nos actes sont souvent guidés par notre psychisme ou nos émotions, qui sont immatériels. Être véritablement un citoyen revient à percer le décor de cinéma qui nous est imposé… par bien des politiques notamment. Se baser uniquement sur les faits matériels implique de rester prisonnier du décor de cinéma et, au bout du compte, de se couper de la réalité.

Boltzmann : une réalité se présentant différemment selon l’échelle de longueur

Ludwig Boltzmann (1844-1906) est considéré comme le père de la physique statistique et un fervent défenseur de l’existence des atomes [9]. La physique statistique a pour but d’expliquer le comportement et l’évolution de systèmes physiques comportant un grand nombre de particules (systèmes macroscopiques), à partir des caractéristiques de ces particules (jouant le rôle de constituants microscopiques) [10].

L’atomisme est un courant philosophique et une théorie physique proposant une conception d’un univers discontinu, composé de matière et de vide [11]. Or, à une échelle de longueur humaine, il n’y a pas de vide visible dans la matière, qui semble constituée d’un bloc. C’est pourquoi les conceptions atomistes à la base de ses recherches lui ont valu l’hostilité de nombre de ses confrères [9].

Les travaux de Boltzmann sont admirables, notamment par le fait qu’ils réconcilient des théories, en apparence opposées, en vérité complémentaires. Ainsi, la physique statistique, qui étudie la matière à un niveau microscopique, permet d’expliquer des lois de la thermodynamique, qui étudie la matière à un niveau macroscopique [12].

Beaucoup de travers actuels seraient évitables en se rappelant les travaux de Boltzmann. Schématiquement, deux dérives de nature opposée sont observables :

  • Une confusion entre réalité et vision personnelle de la réalité. Certaines personnes sont prisonnières de leurs certitudes, sous prétexte qu’elles correspondent à leur vécu, sans tenir compte du fait que d’autres ont pu avoir un vécu différent.
  • Une confusion entre l’impossibilité d’avoir une vision unique de la réalité et l’existence même de cette réalité. Certaines personnes pensent que « tout n’est qu’illusion », sous prétexte que chacun de nous a une vision différente de la réalité.

La réalité est absolue. C’est notre façon de l’appréhender qui ne l’est pas. Ainsi, l’équivalent de l’échelle de longueur discutée précédemment est notre vécu : c’est notre vécu qui nous donne notre perception du monde. Augmenter sa vision de la réalité ne correspond pas à renier la vision de l’autre, mais à être capable de l’inclure dans sa vision personnelle, malgré des oppositions apparentes liées à des vécus différents. Notre société serait réellement progressiste si, au lieu de nous opposer les uns les autres de par nos vécus différents, elle arrivait au contraire à superposer ces derniers, afin d’aboutir à un vécu collectif.

Une autre leçon à tirer concerne un préjugé fréquent : le fait qu’en entrant dans le détail d’un sujet, on perdrait une vision d’ensemble. Ce préjugé entraîne notamment une classification des employés selon des profils « généralistes » ou « experts », et une opposition factice entre ces deux types de profil. Or, comme nous l’avons vu, thermodynamique et physique statistique s’éclairent mutuellement. Un employé compétent est un employé qui est justement capable d’être à la fois généraliste et expert : entrer dans le détail d’un sujet permet entre autres d’entrer dans le détail des liens entre le sujet considéré et d’autres sujets, et in fine de consolider sa vision d’ensemble. Il est regrettable que cette opposition factice soit si présente dans les services RH. Elle aboutit à un anti-intellectualisme et à une perte de compétences des employés, mis de force dans des cases. Le mécanisme de perte de compétences est expliqué dans la partie suivante.

Schrödinger : effectuer une mesure, c’est changer la réalité

Erwin Schrödinger (1887-1961), en imaginant l’équation d’évolution de la fonction d’onde associée à l’état d’une particule, a permis le développement des fondements théoriques de la mécanique quantique [13]. La mécanique quantique illustre parfaitement le point discuté précédemment, à savoir la réconciliation de points de vue apparemment contradictoires. En effet, elle repose sur le principe de dualité onde-particule : les objets physiques peuvent présenter parfois des propriétés d’ondes et parfois des propriétés de corpuscules [14].

La mécanique quantique lie directement mesure de la réalité et réalité elle-même. Ainsi, la manifestation des propriétés d’un objet ne dépend pas seulement de l’objet étudié isolément, mais aussi de l’appareillage de mesure utilisé [14]. L’exemple le plus connu est celui de la lumière, qui présente deux aspects complémentaires selon les expériences, ondulatoire (d’où le concept de longueur d’onde) et corpusculaire (d’où le concept de photon).

Le fait que la mesure perturbe la réalité a une application directe dans le monde du travail. En effet, les employés sont constamment évalués, et mis de force dans des cases. Dès le processus d’embauche, certaines entreprises font passer des tests psychologiques à leurs futurs employés. Or, la société se donne souvent raison : les gestionnaires RH et les supérieurs hiérarchiques de l’employé interagiront avec ce dernier selon les cases dans lesquelles ils veulent le mettre… Par exemple, un employé considéré comme expert d’un sujet sera forcé de travailler uniquement sur ce dernier, sans pouvoir donner son avis sur d’autres. L’employé, s’il reste trop longtemps dans l’entreprise en question, finira par correspondre aux cases, et perdra de sa richesse intellectuelle et/ou psychologique.

Conclusion

La physique est une science souvent perçue par le grand public comme démodée. Il suffit d’allumer son téléviseur pour s’en rendre compte : le spectateur aura bien plus de chances de voir un économiste qu’un physicien. Cela traduit une évolution profonde des mentalités. Il y a un siècle, les sciences physiques étaient perçues comme un moteur essentiel de progrès ; aujourd’hui, c’est souvent l’économie qui est présentée comme tel. Pourtant :

  • La recherche en sciences physiques est toujours très active : optique, métrologie, sciences et technologies des matériaux, électronique, astrophysique, etc. [15]
  • De nombreuses passerelles existent entre la physique et d’autres domaines, dont l’économie. Ainsi, l’éconophysique se propose de résoudre des problèmes économiques en appliquant des méthodes et théories développées pour expliquer des phénomènes physiques complexes relevant notamment de la physique statistique [16].
  • Les concepts fondamentaux de la physique ont une portée très large, permettant de mieux comprendre le monde et d’éviter de tomber dans des dérives. En ce sens, la physique a rarement été autant d’actualité.

Sources

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Philosophie_des_sciences Philosophie des sciences

[2] https://lejournal.cnrs.fr/billets/reconcilions-la-science-et-la-philosophie Réconcilions la science et la philosophie !

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Physique Physique

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Newton Isaac Newton

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_universelle_de_la_gravitation Loi universelle de la gravitation

[6] https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2014/10/15/pommier-newton/ Le pommier de Newton

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_(physique) Force

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mécanique_analytique Mécanique analytique

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ludwig_Boltzmann Ludwig Boltzmann

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Physique_statistique Physique statistique

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Atomisme Atomisme

[12] http://ipnwww.in2p3.fr/IMG/pdf/th-sazdjian-poly2.pdf Physique statistique et thermodynamique

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/Erwin_Schrödinger Schrödinger

[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualité_onde-corpuscule Dualité onde-corpuscule

[15] http://www.lavoixletudiant.com/orientation/les-filieres/les-sciences/21865/les-sciences-physiques/ Les sciences physiques

[16] https://fr.wikipedia.org/wiki/Éconophysique Éconophysique

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