Bienvenue au paradis… fiscal : information sur les trusts

Introduction

Plusieurs critiques peuvent être émises à l’encontre du traitement médiatique des « Paradise Papers » :

  • Une dénonciation trop catégorique de plusieurs montages financiers, du fait qu’ils seraient systématiquement opaques. Un tel montage est le système de « trust ». Or, lorsqu’il est utilisé pour les bonnes raisons, il peut au contraire avoir des avantages de transparence !
  • Une critique de l’optimisation fiscale pour des raisons morales. L’aspect qui aurait dû être mis en avant est plutôt idéologique. L’optimisation fiscale correspond au passage d’une vision du monde découpé en États (qui collectent des impôts) à une vision du monde découpé en multinationales (qui prélèvent des commissions afin de réaliser des montages financiers).
  • Certains concepts clés insuffisamment expliqués. Le système de « trust » a été dénoncé, mais finalement assez peu détaillé. Idem pour les accords fiscaux entre pays, pourtant cruciaux pour comprendre l’évasion fiscale.
  • Un manque de mise en perspective du sujet. Par exemple, il y a régulièrement en France des discussions sur les « cadeaux » faits aux plus riches, lorsque des mesures fiscales qui leur sont favorables sont créées. En vérité, du fait des pratiques d’évasion fiscale, l’impact des mesures en question est limité.
  • Une frontière entre légal et illégal insuffisamment mise en avant, toutes les pratiques d’évasion fiscale, légales ou non, étant de toute façon désignées comme immorales…
  • Une forme de « peopolisation » : les médias ont plus insisté sur l’identité des personnes et sociétés ayant pratiqué l’évasion fiscale, et ce même lorsqu’elles ont respecté le droit, que sur les mécanismes d’évasion fiscale à proprement parler.
  • Un faible relais des solutions permettant de limiter l’évasion fiscale, et l’idée fausse qu’il n’y aurait pas de solution à l’échelle de la France.

Le présent article a pour but d’expliquer les mécanismes financiers et légaux en jeu lors de la formation d’un trust, structure souvent utilisée lors des évasions fiscales.

A) Contexte

« Paradise Papers »

Les « Paradise Papers » désignent la nouvelle enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (International Consortium for Investigative Journalism – ICIJ), qui porte sur les mécanismes d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales [1].

L’ICIJ, en regroupant plusieurs centaines de journalistes de plus de 60 pays différents, a pour but d’effectuer des enquêtes à l’échelle mondiale [2]. Ainsi, plusieurs affaires d’évasion fiscale ont déjà été dénoncées par l’ICIJ : « Offshore Leaks » en 2013, « Luxembourg Leaks » en 2014, « SwissLeaks » en 2015, « Panama Papers » en 2016.

Afin d’effectuer leur dernière enquête en date, l’ICIJ a utilisé une fuite de documents (« leak » veut dire « fuite » en anglais, et « papers » correspond à « documents ») constituée de :

  • Documents internes du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes et présent dans une dizaine de paradis fiscaux.
  • Documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour.
  • Registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux.

Services fiduciaires

Lorsqu’une personne (physique) ou une société (personne morale) souhaite réaliser une évasion fiscale, elle passe par des :

  • Banques ou compagnies d’assurance, en général des multinationales disposant de départements spécifiquement dédiés à l’administration de trust, par exemple HSBC [3].
  • Cabinets d’avocats spécialisés dans l’optimisation fiscale, par exemple Appleby.
  • Des sociétés fiduciaires (« trustee companies »), par définition spécialisées dans la garde et la gestion à moyen ou long terme du patrimoine des personnes [4]. Asiaciti Trust est un exemple parmi d’autres [5].

Comprendre les mécanismes d’évasion fiscale, c’est comprendre le travail quotidien effectué au sein de ces compagnies.

Paradis fiscal : choix de la destination

Un paradis fiscal est un pays ou territoire à fiscalité réduite ou nulle, c’est-à-dire où le taux d’imposition est jugé très bas en comparaison avec les niveaux d’imposition existant dans les pays de l’OCDE [6].

Un paradis fiscal peut parfois être à faible imposition uniquement pour les personnes physiques, ou bien pour les entreprises. Cependant, comme nous le verrons, l’utilisation de prête-noms permet de détourner ce type de distinction lorsqu’elle existe.

Les paradis fiscaux sont en règle générale des paradis financiers (ou bancaires), à savoir sont caractérisés par un fort secret bancaire [7]. Cela permet de conforter la discrétion des montages utilisés. La réciproque est fausse : la Suisse était un paradis financier, mais pas un paradis fiscal.

Certains paradis fiscaux peuvent également être des paradis judiciaires : la justice n’y applique pas des règles aussi strictes qu’ailleurs (par exemple sur l’origine des fonds en transit) et refuse le plus souvent de coopérer avec la justice des autres pays et de fournir des informations sur les particuliers et entreprises y possédant des capitaux [8]. La République de Malte peut être vue comme un exemple de paradis fiscal et judiciaire (bien qu’elle ne soit pas officiellement répertoriée comme tel) : l’assassinat à la voiture piégée de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia, qui dénonçait sur son blog la corruption de politiques, a fait récemment l’actualité [9].

Les paradis judiciaires favorisent l’évasion fiscale illégale, mais du fait de l’opacité des montages financiers utilisés, des pratiques illégales peuvent avoir lieu sur l’ensemble des paradis fiscaux.

Structure offshore : la base de l’évasion fiscale

Une fois le paradis fiscal choisi, il est nécessaire d’y établir l’entité adéquate : on parle de « structure offshore ». Le terme offshore est utilisé pour désigner la création d’une entité juridique dans un autre pays que celui où se déroule l’activité, afin d’optimiser la fiscalité ou la gestion financière de capitaux [10].

L’ingénierie offshore utilise différentes structures, selon les besoins et les opportunités. Les plus fréquentes sont les sociétés-écran et les « trusts ».

B) Société-écran gérée par des « nominees » : un moyen simple d’être discret

Principe de la société-écran

Une société-écran est une boîte postale basée dans un paradis fiscal : elle apparaîtra, en tant que personne morale, comme propriétaire de biens à la place de la personne physique l’ayant créée [11].

Comme il s’agit d’enregistrer une nouvelle société, il est nécessaire de passer par une compagnie habilitée à effectuer des activités d’agent de domiciliation de sociétés sur le paradis fiscal concerné. Soit cela est directement le cas de la compagnie jouant le rôle de conseil (cas d’Appleby par exemple), soit il est nécessaire de passer par un intermédiaire supplémentaire (typiquement, l’avocat fiscaliste de la personne physique contactera à son tour un cabinet d’avocats spécialiste en domiciliation de sociétés offshore).

Intérêt d’utiliser des « nominees »

La personne physique peut cependant encore être assez facilement identifiée en consultant l’identité du conseil d’administration de la société-écran, grâce à des registres en ligne comme OpenCorporates [12].

Un « nominee », en français prête-nom (« nomen » veut dire nom en latin) ou péjorativement homme de paille (expression utilisée lorsqu’il s’agit de couvrir une opération frauduleuse), est une personne prêtant son nom dans un acte où le véritable contractant ne veut pas paraître [13].

Il peut s’agir d’une personne physique ou morale (une société). Les personnes physiques sont en général privilégiées car plus crédibles, mais elles sont plus chères [14]. Le prête-nom apparaîtra comme directeur (« nominee director ») ou actionnaire (« nominee shareholder ») de la structure offshore mise en place.

Un « nominee agreement » est établi entre le contractant et le « nominee » [15]. Il contient notamment les clauses suivantes :

  • « Deed of indemnity » (contrat de garantie) : garantit que des indemnités seront versées au prête-nom si les actions du contractant sont illégales.
  • « Power of attorney » (procuration) : permet au contractant de prouver qu’il est le directeur ou l’actionnaire réel.

Une manière simple de réaliser de l’évasion fiscale est ainsi de monter une société-écran, gérée par des « nominees ».

Montage en cascade : la société-écran utilisée en tant que « nominee shareholder » de la suivante

Pour se protéger d’éventuels changements législatifs au sein d’un paradis fiscal, il est possible de réaliser des sociétés-écran en cascade, une société-écran jouant elle-même le rôle de « nominee shareholder » (actionnaire prête-nom) pour la suivante, basée dans un autre paradis fiscal.

Certains cabinets fiscalistes proposent ainsi systématiquement à leurs clients l’utilisation d’une ou deux sociétés offshores qui gèrent l’actionnariat de centaines de sociétés – dont celles créées pour l’occasion. Ainsi, de multiples bénéficiaires économiques peuvent se cacher derrière le paravent d’une seule entité juridique prête-nom, compliquant le travail de l’administration fiscale [16].

Remarque importante : le fait que les « nominees » soient couramment utilisés à des fins d’évasion fiscale ne doit pas faire oublier que de telles pratiques peuvent être tout à fait saines dans d’autres contextes. Par exemple, la technique de la convention de portage, consistant à utiliser un tiers comme porteur avec des instructions précises, peut permettre à un donneur d’ordre connu de rester anonyme et d’éviter ainsi à ce que les marchés financiers ne soient perturbés lorsqu’il réalise des opérations importantes [17].

C) « Trust » : une structure permettant de sortir des biens de son patrimoine

Principe du trust

Le « trust » (en français la fiducie) est une disposition juridique qui permet à un « settlor » (en français constituant ou fiduciant) de conférer le contrôle de biens à un « trustee » (en français fiduciaire ou détenteur), pour le compte d’un bénéficiaire, qui peut être le « settlor » lui-même, le « trustee » ou un tiers [18]. « Settlor », « trustee » et bénéficiaire peuvent être des personnes physiques ou morales (des sociétés).

Les biens mis en trust constituent une masse distincte, et ne sont pas inclus dans le patrimoine du trustee. Même si le trust est une institution avec une certaine autonomie, il n’est pas une société : un trustee est donc nécessaire pour l’administrer.

Le trustee a l’obligation d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust ainsi que les règles imposées au trustee par la loi, en faveur du ou des bénéficiaires. Le contrat correspondant peut être soit signé unilatéralement par le trustee (declaration of trust) ou signé par le settlor et le trustee (trust settlement).

Différence entre « nominee » et « trustee »

Comprendre la différence entre « nominee » et « trustee » est fondamental :

  • Les « nominees » n’ont aucun pouvoir réel. Ils servent uniquement à cacher l’identité du bénéficiaire réel du montage offshore.
  • Le « trustee » a une responsabilité réelle, faisant appel à une expertise : l’administration de trust en faveur du bénéficiaire. Il dispose d’un mandat beaucoup plus large qu’un « nominee ».

La confusion entre les deux termes vient, entre autres, du fait que les « trustee companies » (sociétés fiduciaires) – ainsi que les cabinets d’avocats fiscalistes et les départements fiduciaires des compagnies financières – interviennent sur l’ensemble des structures offshore possibles :

  • Les « trustee companies » aident à mettre en place des sociétés offshore, et proposent des « nominees » physiques. Ces derniers peuvent être des employés, rémunérés proportionnellement à la masse de contrats virtuellement signés [19]. La « trustee companie » elle-même peut également jouer le rôle de « nominee » (en tant que personne morale).
  • Comme leur appellation même l’indique, les « trustee companies » fournissent des prestations de « trustee » constitué en société. Ainsi, elles mettent en place et administrent des trusts.

De plus, des structures hybrides peuvent exister. Par exemple, un « nominee trust » a une structure similaire à celle d’un « trust », à l’exception que les « trustees » sont assimilables à des « nominees » au service des bénéficiaires du trust : ils ne peuvent agir sans l’autorisation de ces derniers [20].

Enfin, un « settlor » peut exercer un contrôle abusif sur le trust, reléguant dans les faits le « trustee » au rang de « nominee ». Il ne peut plus alors prétendre bénéficier des avantages fiscaux correspondants [21]. Dans le cas contraire, les pratiques d’évasion fiscale deviennent illégales.

Le dédoublement de propriété

Lors de la création d’un « trust », un dédoublement de propriété a lieu. En effet, les biens mis en trust font l’objet de deux propriétés conjointes [22] :

  • Le « trustee » a le « legal ownership » (propriété légale)
  • Le bénéficiaire a « l’equitable ownership » (propriété équitable)

Le « trustee » doit se montrer digne de confiance, et agir dans l’intérêt du bénéficiaire conformément à la volonté du constituant (« trust » veut dire confiance en anglais, et fiducie vient du latin « fiducia » qui veut dire confiance). La jurisprudence anglaise n’hésite pas à engager la responsabilité d’un trustee propriétaire, qui aurait mal géré ses biens ! Ce type de raisonnement est paradoxal en droit romaniste, ce qui explique pourquoi le concept de trust a été traduit tardivement dans le droit français.

C’est ce dédoublement de propriété qui explique pourquoi le « trust » est une structure particulièrement prisée pour l’évasion fiscale : le constituant (lorsqu’il en est également le bénéficiaire) peut continuer à jouir des biens mis en trust, tout en n’en étant plus le propriétaire légal [23].

Une spécificité anglo-saxonne

Ainsi, les trusts sont régis par « l’Equity Law ». Il s’agit d’un droit de formation jurisprudentielle, ayant pour but de combler les lacunes de la « Common Law », en faisant valoir l’application de doctrines équitables ainsi que d’idées répondant aux exigences de la conscience et de la morale [24].

La « Common Law » et « l’Equity Law », issues du droit anglais, ont été implantées dans la plupart des anciennes colonies britanniques où elles ont perduré [25]. Elles s’appliquent à des paradis fiscaux comme l’Irlande ou Hong Kong.

Il faut se méfier des traductions francophones, car l’équivalent exact du « trust » n’existe pas dans le droit français ou suisse. La traduction de « trust » en fiducie n’est qu’approximative :

  • Dans le droit suisse, les biens mis en fiducie font partie du patrimoine du fiduciant (dans le cas du « trust », les biens ne font pas partie du patrimoine du « trustee ») [18].
  • Ironiquement, le concept de « trust » est né en France au moment des croisades : lorsque les croisés quittaient le pays, ils confiaient la gestion de leurs intérêts à un tiers de confiance [26]. Cependant, la notion de fiducie n’est apparue dans le Code civil français qu’en février 2007 [27]. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a autorisé toute personne physique ou morale, à l’exception des mineurs et personnes sous tutelle, d’être constituant. Dans le droit français, les biens, transférés aux fiduciaires sont tenus séparés de leur patrimoine propre, comme pour les trusts anglo-saxons. Cependant, des différences de taille subsistent : la fiducie française est tiraillée entre la conception romaine de la fiducie, basée sur le contrat, et la notion de trust anglo-saxon, davantage fondée sur un dédoublement du titre de propriété [28].

Natures et caractéristiques des « trusts »

Les trusts peuvent être de nature très diverse. On dénombre notamment [18] :

  • Des « trusts » destinés à protéger le patrimoine familial. Ces « trusts » ressemblent à des « wills » (testaments), mais en diffèrent [29]. Les « inter vivos trusts », ou « revocable living trusts » (parfois simplement « living trusts »), sont des substituts aux « wills » permettant d’éviter le « probate » (homologation des autorités). Les « mortis cause trusts », ou « testamentary trusts », sont liés aux « wills », et sont activés à la mort de leur « settlor ».
  • Des « investment trusts » permettant de collecter l’épargne de plusieurs investisseurs et de l’investir dans un grand nombre de titres (actions, obligations, immobiliers).
  • Des « trusts » constitués pour liquider une entité économique en faillite : les créanciers du failli mettent en place un trust dont ils sont les bénéficiaires, et nomment un « trustee in bankruptcy » (administrateur de la faillite), chargé de la liquidation des biens restants du failli, et rendant compte de son activité devant le « Board of Trade » (Bureau du commerce).
  • Des trusts constitués pour protéger les créanciers d’une société : les « debenture holders » nomment un « trustee » chargé de veiller sur leurs intérêts, le pouvoir d’enquête et d’action conféré à ce dernier dépendant de l’acte de fondation du « trust ».
  • Des « charitables trusts » et des « non-profit trusts » (« trusts » à but non lucratif), de finalité première analogue aux fondations en droit français. Il existe ainsi des « trusts for the relief of poverty » (fondations pour combattre l’indigence), des « trusts for the advancement of religion » (pour la promotion de la religion), des « trusts for the advancement of education » (pour la promotion de l’éducation) et des « trusts to benefit the public » (analogues aux fondations privées reconnues d’utilité publique du droit français).

Cependant, il est tentant de détourner les « charitable trusts » à d’autres fins, du fait qu’ils sont dispensés d’impôts. Une pratique courante en « securitization » (titrisation en français, qui est une technique financière consistant à transformer des créances en titres afin de les transférer à des investisseurs, accusée d’avoir favorisé la crise des subprimes en 2007 [30]) est d’établir le SPV – « special purpose vehicle » – (en français, FCC – fonds commun de créances) comme un « charitable trust » dans un paradis fiscal [31]. En effet, les SPV sont au cœur des opérations de titrisation, car ils permettent d’isoler les créances pour ensuite les transformer. Utiliser un « charitable trust » comme SPV permet de réaliser cet objectif, tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse [32]. Cependant, une telle utilisation, même si elle est tolérée, correspond à une lecture extensive du droit, le « charitable trust » ne contribuant au final quasiment pas à des causes non lucratives [33].

Selon leur nature, les « trusts » ont des caractéristiques différentes.

  • Révocable ou irrévocable : un trust révocable peut être modifié à n’importe quel moment [34]. Son inconvénient est qu’il n’offre pas de protection contre des débiteurs. Au contraire, un « trust » irrévocable ne peut plus être changé une fois l’agreement signé. Par exemple, les « revocable living trusts », qui permettent de se substituer aux testaments et d’éviter le « probate », sont révocables afin de permettre au « settlor » de changer ses dernières volontés. A la mort du « settlor », ils deviennent irrévocables.
  • Discrétionnaire ou non : un trust est dit discrétionnaire lorsque le « settlor » perd le contrôle des biens mis en « trust » [35]. Le « settlor » peut faire part de ses intentions dans une « Letter of Wishes » (lettre de vœux), mais ce sera toujours le « trustee » qui aura le dernier mot. Il y a cependant possibilité de nommer un « protector » (protecteur) pour surveiller les actions du ou des « trustees ». Il pourra être doté de pouvoirs lui permettant de révoquer et de nommer les trustees, d’adjoindre des conseillers financiers et juridiques à leurs décisions et même d’avoir un droit de veto lors de distributions de fonds.

La plupart des « trusts » utilisés à des fins d’évasion fiscale sont à la fois irrévocables et discrétionnaires, afin de favoriser la sortie des biens mis en « trust » de l’assiette de l’impôt ou des droits de succession [36].

Remarques importantes :

  • Il est rappelé que les traductions françaises ne sont qu’approximatives, du fait de différences entre le droit romain et le droit anglo-saxon. En particulier, un fonds commun de créances n’est pas exactement équivalent à un « special purpose vehicle ». A noter : le fonds commun de créances (FCC) a été modernisé en fonds commun de titrisation (FCT) en juillet 2008 [37], mais la première appellation demeure usitée.
  • Le traitement médiatique des « Paradise Papers » a désigné certains montages fiscaux comme légaux mais immoraux, distinguant légalité et moralité. Or, les trusts obéissent à « l’Equity Law » (voir la partie « Une spécificité anglo-saxonne »), la notion même de morale et de conscience étant au cœur de ce droit. Ainsi, c’est souvent lorsque les montages correspondent à une lecture extensive du droit qu’ils sont discutables moralement. L’utilisation des « charitable trusts » comme SPV d’opérations de titrisation est un exemple. Cependant, la notion même de moralité dépend de la culture : des montages vus comme moraux dans la culture anglo-saxonne ne sont pas forcément perçus comme tels dans la culture romaine.
  • Plus généralement, des sources d’illégalité des montages peuvent venir d’une utilisation réelle ne correspondant pas à l’intention affichée. Un exemple déjà vu est lorsque le « settlor » exerce un contrôle abusif sur le « trust », tout en continuant à bénéficier des avantages fiscaux correspondants.

Convention de La Haye

Nous avons vu les aspects juridiques liés à la mise en place d’un trust dans un paradis fiscal. Cependant, un point n’a pas encore été abordé : la reconnaissance du « trust » étranger dans le droit du pays du « settlor ».

Cet aspect est différent de celui abordé dans la partie « Une spécificité anglo-saxonne ». Ici, il ne s’agit pas de déterminer si un équivalent du système de « trust » existe dans le droit français, mais de savoir comment ce dernier reconnaît des « trusts » basés à l’étranger. Un lien entre les deux aspects existe tout de même : lorsqu’un pays a un système de « trust » existant, la reconnaissance des « trusts » étrangers a tendance à être facilitée ; et réciproquement le fait de reconnaître des « trusts » étrangers peut donner des idées de modifications du droit. Là encore, il est question de culture.

La pertinence même du choix initial du paradis fiscal et de la structure utilisée dépend fortement des accords existants avec le pays du contractant.

Il existe une convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance [38]. Cependant, la France l’a signée, sans la ratifier (ce qui correspond à un engagement non contraignant juridiquement) [39].

La problématique de la reconnaissance des « trusts » étrangers en France est particulièrement ardue : que les « trustees » préfèrent éviter d’acheter, dans le cadre du « trust », des biens situés en France en est révélateur [40]. Le paysage juridique et fiscal international est complexe.

D) Conclusion

Les « trusts » sont des outils utilisés fréquemment dans les pays anglo-saxons, afin de protéger, transmettre et/ou faire fructifier son patrimoine. Cependant, comme ils font peu partie de la culture française, ils peuvent donner une impression d’opacité, pas forcément justifiée.

Le législateur français devrait se pencher les montages en jeu et se positionner par rapport à ces derniers. Il pourrait autoriser les évasions fiscales qu’il perçoit comme légitimes, et interdire les autres. Hélas, alors que depuis 2013 des scandales fiscaux de grande ampleur sont dévoilés annuellement par l’ICIJ, le droit français concernant les « trusts » évolue peu.

Sources

[1] http://www.lemonde.fr/paradise-papers/article/2017/11/05/paradise-papers-le-lexique-pour-tout-comprendre_5210534_5209585.html « Paradise Papers » : le lexique pour tout comprendre

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Consortium_international_des_journalistes_d’investigation Consortium international des journalistes d’investigation

[3] https://www.letemps.ch/economie/2015/02/10/clients-hsbc-baptisent-leurs-trusts-noms-tres-serieux Quand les clients de HSBC baptisent leurs « trusts » avec des noms pas très sérieux

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Société_fiduciaire Société fiduciaire

[5] http://www.cookislandsfinance.com/trusts.php liste de sociétés fiduciaires habilitées à opérer sur les Îles Cook

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradis_fiscal Paradis fiscal

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradis_financier Paradis financier

[8] http://www.stopparadisfiscaux.fr/de-quoi-parle-t-on/les-paradis-fiscaux/article/definition-et-caracteristiques-des-paradis-fiscaux-et-judiciaires Définition et caractéristiques des paradis fiscaux et judiciaires

[9] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/malte-derriere-l-assassinat-d-une-journaliste-un-etat-mine-par-la-corruption_1953594.html Malte : derrière l’assassinat d’une journaliste, un État miné par la corruption

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Offshore Offshore

[11] http://fr.euronews.com/2016/04/04/societe-ecran-mode-d-emploi Société écran : mode d’emploi

[12] https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/opencorporates-com/ OpenCorporates

[13] https://fr.wiktionary.org/wiki/prête-nom Définition de prête-nom

[14] https://www.paradisfiscaux20.com/qu-est-qu-un-nominee-directeur.htm Types de « nominee »

[15] https://www.completeformations.co.uk/nominee-agreements.html « Nominee Agreements »

[16] http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/07/panama-papers-comment-conserver-son-anonymat-dans-un-paradis-fiscal_4897367_4890278.html Comment garder son anonymat dans un paradis fiscal

[17] http://www.dynamique-mag.com/article/l-arme-discrete-la-convention-de-portage.3136 L’arme discrète : la convention de portage

[18] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trust_(droit_anglais) « Trust » (droit anglais)

[19] https://www.capital.fr/economie-politique/profession-prete-nom-dans-les-paradis-fiscaux-et-en-france-1116311 Profession : Prête-nom dans les paradis fiscaux… et en France

[20] https://grcpc.com/a-nominee-trust-isnt-a-typical-trust/ A “Nominee Trust” Isn’t a Typical Trust

[21] https://www.irs.gov/businesses/small-businesses-self-employed/abusive-trust-tax-evasion-schemes-questions-and-answers Abusive Trust Tax Evasion Schemes

[22] http://www.fairfield-avocat.fr/trust-et-intransmissibilite-patrimoine-fascination-psychose/ « Trust » et (in)transmissibilité du patrimoine : de la fascination à la psychose !

[23] http://www.lemonde.fr/paradise-papers/article/2017/11/08/les-trusts-outil-de-dissimulation-privilegie-des-plus-grandes-fortunes-mondiales_5211768_5209585.html Les « trusts », outil de dissimulation privilégié des plus grandes fortunes mondiales

[24] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Equity_Law/179706 « Equity Law »

[25] https://fr.wikipedia.org/wiki/Common_law « Common law »

[26] http://www.fiscalonline.com/Trusts-comment-comprendre,4110.html « Trusts » : comment comprendre, appliquer et maîtriser la nouvelle donne fiscale

[27] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fiducie Fiducie (droit français)

[28] https://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-prive/la-fiducie-face-au-trust/ La fiducie face au « trust »

[29] https://law.freeadvice.com/estate_planning/wills/will_difference_trust.htm Differences between Wills and Trusts

[30] https://fr.wikipedia.org/wiki/Titrisation Titrisation

[31} https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonds_commun_de_créances Fonds commun de créances

[32] http://www.persee.fr/doc/ecofi_0987-3368_2000_num_59_4_3688 Opérations de titrisation internationale : aspects juridiques

[33] https://www.theguardian.com/money/2007/dec/05/banks.northernrock How UK banks exploit charity tax laws

[34] https://www.thebalance.com/revocable-vs-irrevocable-trusts-3505386 Revocable vs. Irrevocable Trusts

[35] http://www.amedia-offshore.com/fondations-trusts.php « Trusts »

[36] http://www.montaigne-avocat.com/regime,juridique,trusts.php Le régime juridique des « trusts » en France

[37] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019233383 Décret n° 2008-711 du 17 juillet 2008 réformant le cadre juridique des fonds communs de créances

[38] https://assets.hcch.net/docs/d25c1c92-a322-4d04-9f8e-ede0a63eaa25.pdf Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance

[39] https://www.senat.fr/questions/base/2015/qSEQ150516451.html Ratification de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur la loi applicable au trust – 14ème législature

[40] http://www.avocats-picovschi.com/la-fiscalite-du-trust-en-france_article_338.html La fiscalité du « trust » en France

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